Les expositions coloniales à Marseille, 1906/1922 : la mise en scène de l’illusion coloniale

Conçues comme d’immenses spectacles vivants, les Expositions Coloniales donnent à voir ou plutôt mettent en scène l’Empire colonial français. À travers des reconstitutions spectaculaires d’environnements, de monuments d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, les Français de métropole voient, souvent pour la première fois, des hommes et des femmes venus de territoires lointains. Entre fascination et rejet, les Expositions Coloniales sont des véritables lieux de confrontation avec l’Autre. C’est ici que se construit une vision de l’altérité, de l’Autre, mais aussi de soi. Phénomène totalement mondialisé, Marseille accueille à son tour en 1906 une exposition coloniale. C’est la troisième organisée en France, après Rouen en 1896 et Rochefort-sur-Mer en 1898.

 

Ces expositions de 1906 et 1922 sont étroitement liées aux milieux négociants et industriels de la ville. Rappelons que ces milieux d’affaires marseillais, dont l’intérêt pour les colonies est avant tout mercantile, participent étroitement à la diffusion de la propagande coloniale. L’objectif principal étant de convaincre les Marseillais de la nécessité d’investir dans cet immense empire de plusieurs millions de km carrés. Or, comme le souligne l’historien Xavier Daumalin, convaincre l’opinion, façonner un imaginaire colonial, c’est d’abord créer des structures d’accueil et de communication capablent de diffuser le discours colonial » (X. Daumalin, Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille, Tome VIII, Marseille et l’Ouest Africain, 1992). C’est dans ce contexte qu’est fondé en 1876 la Société de Géographie de Marseille (SGM). Animée par de grands négociants tels qu’Alfred Rabaut, Marc Fraissinet ou encore Cyprien Fabre, la SGM s’efforce de mettre en avant l’épopée coloniale : création d’une bibliothèque dédiée aux découvertes et expéditions des territoires colonisés, organisation de conférences publiques et publication d’un bulletin. Mais c’est avec l’arrivée à Marseille du Dr Edouard Heckel en 1877 que « l’instruction de l’opinion » entame un nouveau virage. Véritable apôtre de la cause coloniale, il est celui qui saura non seulement faire rêver le public, mais aussi lui donner une véritable éducation coloniale grâce à une nouvelle structure : le musée et l’institut colonial de Marseille, fondés en 1893 (Xavier Daumalin, 1992).

Affiche de l’Exposition Coloniale de Marseille, 1906 réalisé par Dellepiane

Pourtant, au début du XXe siècle, l’impact de la propagande coloniale sur l’opinion publique reste modeste. C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’organiser un événement d’ampleur nationale pour légitimer l’entreprise coloniale et promouvoir ses bienfaits. Le 23 septembre 1902, Edouard Heckel présente au Conseil municipal de Marseille son projet d’Exposition Coloniale à Marseille. La municipalité vote un crédit d’un million de francs pour lequel le Conseil général et la Chambre de commerce apportent chacun 250 000 francs.  L’exposition se tient du 15 avril au 18 novembre 1906 sur le champ de manœuvre du rond-point du Prado, aujourd’hui parc Chanot et marque avec éclat l’alliance entre la ville de Marseille et l’expansion territoriale de la France d’outre-mer. 

Pour l’occasion, l’exposition se dote :

  • D’une cinquantaine de palais ou pavillons de part et d’autre d’une grande allée centrale bordée d’arbres partant du rond-point du Prado.
  • D’une grande serre aux dimensions imposantes, 40 m de long et 10 m de large. Elle est construite près de l’entrée principale et abrite des plantes exotiques (caféiers, plantes à caoutchouc, etc.).
  • Au total, c’est plus de 1 800 000 visiteurs qui se rendent à l’exposition, des Marseillais, mais aussi des personnes venants d’autres villes et parfois d’autres pays. Après le succès de l’Exposition Coloniale de 1906, Jules Charles-Roux, ancien commissaire de cette exposition, et Adrien Artaud, président de la chambre de commerce, parviennent à faire admettre par les pouvoirs publics le principe d’une nouvelle exposition coloniale. L’exposition est prévue pour l’année 1915 mais le projet est interrompu par la Première Guerre mondiale : le parc ainsi que le grand palais et le palais des machines, vestiges de l’exposition précédente, sont utilisés pour le cantonnement des troupes de passage, notamment celles en provenance des colonies. Les travaux reprennent à la fin de la guerre et l’exposition est inaugurée en 1922 au parc Chanot.

 

Des zoos humains ?

Troupe de Théâtre Cingalais, Exposition Coloniale de Marseille 1906

Véritable zoo humain, les Expositions Coloniales sont à l’articulation de trois processus : la construction d’un imaginaire social de l’Autre, la théorisation scientifique de la « hiérarchie des races », et l’édification d’un Empire colonial alors en pleins expansion. Se sont des lieux au centre desquels se place la mise en scène de la différence : c’est l’invention du sauvage. En vérité, on fabrique un monde qui n’a aucun rapport avec le réel. Quand les Kanaks arrivent à Paris en 1931, on leur demande d’arrêter leurs chants chrétiens, car cela ne colle pas avec l’image du sauvage cannibale. On fabrique tout un environnement qui correspond à l’univers qu’on présuppose qu’un sauvage doit avoir : la hutte, le village, les danses, etc.

 

Crédit photographique : MEDIATHEQUE DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE [Dossier photographique] : « Marseille, Exposition coloniale, automne 1906 ». N

Revues spécialisées
  • BLANCHARD Pascal, « Le zoo humain, une longue tradition française », In: Hommes et Migrations, Novembre-décembre 2000, n°1228, L’héritage colonial, un trou de mémoire. pp. 44-50
  • BLANCHARD Pascal, « Des zoos humains aux expositions coloniales », In : L’Histoire, n°301, 2005, p 62.

Monographies

  • ATELIER JBL. Exotiques expositions : Les expositions universelles et les cultures extra-européennes, France, 1855-1937, éd. Archives Nationales de France, Paris, 2010, 141 p.
  • BLANCHARD Pascal, LEMAIRE Sandrine (sous la dir.). Culture coloniale. La France conquise par son Empire, 1871-1931, éd. Autrement, N°86, 2003, 253 p.
  • BLANCHARD Pascal, LEMAIRE Sandrine. Culture Impériale, 1931-1961, éd. Autrement, n°102, 2004, 276 p.
  • BLANCHARD Pascal, BOËTSH Gilles. Marseille porte sud, un siècle d’histoire coloniale et d’immigration, éd. La Découverte, Paris, 2005. 239 p.
  • BLEVIS Laure, (sous la dir.). 1931. Les étrangers au temps de l’Exposition coloniale, éd. Gallimard /CNHI, 2008, 191p.
  • DAUMALIN Xavier. Marseille et l’Ouest Africain, l’outre-mer des industriels (1841-1956), Histoire du commerce et de l’industrie de Marseille, XIXe-XXe siècle, Tome VIII, éd. CCIMP, Marseille, 1992, 475 p.
  • DEROO Éric. L’illusion coloniale, éd, Tallandier, Paris, 2005, 221 p

Catalogue d’Expositions

  • Les expositions coloniales, l’Orient des Provençaux, Vieille Charité, novembre 1982 – février 1983, 159 p.
  • ARCHIVES MUNICIPALES DE MARSEILLES. Désirs d’ailleurs : les expositions coloniales de Marseille 1906 et 1922, éd. Hors du temps, Marseille, 2006, 140 p.
  • BLANCHARD, Pascal. Zoos humains et exhibitions coloniales : 150 ans d’invention de l’autre, éd. La Découverte, 2011, 1 vol, 598 p.
  • HODEIR, Catherine. L’exposition coloniale, ed. Complexe, Paris, 1991, 159 p.
  • L’Exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses auteurs : quarante-trois articles quatre aquarelles huit cent onze illustration en noir et douze plans, Marseille : Commissariat général de l’exposition, 1922, 310 p.
    Revues spécialisées