Pour une citoyenneté méditerranéenne active

Ancrages s’est engagée, au côté des associations Migrations & Développement et Chouf-Chouf au sein du projet « Jeunesses, Citoyenneté et Territoires, dans le cadre du programme régional portant sur la « Citoyenneté Méditerranéenne ».

L’objectif de ce projet est de mettre en lien un groupe de jeunes français-e-s et un groupe de jeunes marocain-e-s engagé-e-s, dans l’optique d’encourager le partage d’expérience et la mise en commun d’actions de solidarité. La perspective de porter des regards croisés sur les manières de s’engager que l’on soit jeune au Maroc ou en France attise particulièrement l’intérêt d’Ancrages.

Ce projet est l’occasion pour l’association d’Ancrages de réaliser un travail de réflexion sur ce qui lie l’histoire du Maroc et de la France. Ancrages souhaite mettre en avant cette histoire commune. D’une part au prisme du parcours et de l’enracinement des marocain-e-s en Provence et d’autre part, au travers des liens à la fois historiques, politiques, économiques et culturelles, unissant Marseille et le Maroc.

Considérant que la migration et l’exil contribuent à créer des communautés patrimoniales transnationales, Ancrages milite dans l’optique de décliner la démarche intégrée du patrimoine dans des espaces circulatoires et non exclusivement nationaux et/ou européens permettant les narrations des groupes sociaux détenteurs de références culturels et patrimoniales multiples.

Au-delà du cas des « binationaux », catégorie administrative et juridique controversée, les personnes ont le droit à des références et appartenances multiples en mobilisant des espaces transnationaux.

La convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société du 13 octobre 2005 constitue un texte de référence pour nos actions de sensibilisation.

Patrimoine, citoyenneté et migrations

En outre, l’ancrage de nos actions à Marseille, ancienne capitale coloniale de la France, dans l’espace euroméditerranéen exige une mise en perspectives historique et la prise en compte des espaces en tension, frontaliers et très connectés aux enjeux écologiques, économiques et civiques.

L’enjeu de la diffusion des idées, des expressions et les échanges entre jeunes participent aussi à la coproduction et l’émergence de nouveaux usages. Le développement de médias en ligne et de communautés de « web citoyens » contribuent aux actions projets innovantes. Aussi, toujours avec la volonté de valoriser l’histoire des migrations et surtout l’histoire partagée dans l’espace méditerranéen, notamment entre la France et le Maroc.

S’intéresser à la présence des marocains et marocaines en France nécessite de prendre à la fois en compte les grandes dates des histoires du Maroc et de la France.

Aussi, selon les données de l’INSEE, dans les années 2000, 13% de la population immigrée de la région PACA est née au Maroc, ce qui représente 57 500 personnes. Ces populations sont particulièrement présentent dans les départements du Bouches-du-Rhône et du Vaucluse.

Si l’on s’intéresse à l’histoire particulière de cette migration, nous pouvons mettre en lumière l’indépendance du Maroc en 1956 comme marqueur de début de cette immigration. Le processus migratoire s’intensifie après 1970. Cette migration est avant tout masculine et devient progressivement féminine, notamment avec les politiques de regroupements familiales.

Entre 1914 et 1918, le nombre de marocains en France serait passé de 700 à 20 000 personnes, en raison de la politique de recrutement de main d’œuvre crée par les ministères entre 1915 et 1916. En 1919, il n’en resterait que 3000, les autres travailleurs ayant été rapatriés. Certains anciens soldats deviennent des « agents recruteurs » pour le protectorat français. Les troupes de marocains se retrouvent principalement à Arles et sont fortement contrôlés par leur « officiers interprètes » recrutés par le général Lyautey au Maroc.

Entre 1921 et 1929, la migration des marocains connait un nouvel essor; on passe de 15000 à 21000 personnes.

Dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, le Maroc fournit 28 000 travailleurs (notamment pour construire la ligne Maginot) et 12 000 militaires.

Ces points de repères statistiques nous permettent de mettre en avant l’instauration progressive d’une diaspora marocaine en France et particulièrement dans le Sud Est de la France.

Au regard du travail qui anime Ancrages, il parait intéressant d’appréhender le parcours et l’enracinement de femmes et d’hommes qui ont fait l’expérience de la migration et qui, au regard de leur parcours singulier, ont fait le choix de s’engager pour une meilleure citoyenneté.

Pour comprendre les liens et relations qui unissent entre la France au Maroc, il est nécessaire de prendre en compte les temps forts de l’histoire française et marocaine. Comme le souligne Mustapha Belbah et Patrick Veglia dans leur article « Pour une histoire des migrations marocaines en France », publié dans la revue Migrance 24 en 2005, « l’histoire de la présence de Marocains en France n’est pas une conséquence exclusive, comme on a trop souvent tendance à l’affirmer, du seul fait colonial« . Néanmoins, lorsque l’on s’intéresse particulièrement aux liens entre Marseille et le Maroc, le fait colonial reste très présent.

Quelques dates repères:

  • Début XXème : royaume chérifien, l’un des dernier pays non colonisé d’Afrique
  • 1904 : accord entre le Royaume-Unis, l’Italie et la France à propos de la division du Maghreb à le Maroc passe dans la sphère de la France
  • Mars 1911 : les troupes françaises viennent prêter mains forte au sultan Abd al-Hafid, qui doit faire face à une révolte.
  • 30 mars 1912 : Instauration du protectorat sur le Maroc par la IIIe république française (présidé par Armand Fallières). Le général Lyautey devient Résident général.
  • 1914-1918: première Guerre Mondiale à laquelle sont mobilisé un certains nombres de soldats marocains
  • 1940: nouvelle contribution à l’effort de guerre.
  • 1943 : création de l’Istiqlal, qui réclame l’indépendance
  • 1951 : le sultan entame la « grève du sceau »
  • 2 mars 1956 : le Maroc accède à l’indépendance. Déclaration commune franco-marocaine qui « garantit les droits et libertés des Français établis au Maroc et des Marocains établis en France, dans le respect de la souveraineté des deux Etats ».

Les liens commerciaux qui unissent la ville de Marseille avec le Maroc sont anciens. Il est possible de remonter jusqu’au XVe siècle. C’est d’ailleurs ce qu’expose Pierre de Cenival dans « Relations commerciales de la France avec le Maroc au XVe siècle.

En 1227, on retrouve l’ancrage de marchands marseillais au Maghreb, notamment par la présence d’un fondouk au sein d’un quartier situé hors des murailles de la ville de Ceuta, où marchands marseillais et marchands chrétiens cohabitent.

Deux entreprises emblématiques qui atteste du lien étroit existant entre Marseille et le Maroc:

  • COSUMA-COSUMAR

L’usine Saint Louis est implantée à Marseille depuis 1857 dans le quartier du même nom. Son activité principale est le conditionnement de sucre de canne et de betterave.

En 1929, la raffinerie la Cosuma créée par Paul Guillemet de l’usine Sant-Louis s’installe au Maroc. Cette filiale détient pratiquement le monopole de la fabrication de sucre. Trois ans plus tard, l’architecte Edmond Brion s’attelle à la construction de la cité ouvrière Cosuma. Cette édifice est alors réservés aux ouvriers musulmans, et se composent de plusieurs étages. Elle compte 330 logements et accueille 1500 personnes en 1936.

En 1952, 2000 ouvriers ont produits 180000 tonnes de sucre raffiné, ce qui représente un chiffre d’affaire d’environ 18 milliards. Cette raffinerie produit essentiellement les célèbres pains de sucre, élément clé du rituel du thé. En 1967, Cosuma devient Cosumar, dont le capital est acquis à 50% par l’Etat marocain.

  • Cie Paquet

La Compagnie maritime de « navigation Paquet » est créée en 1859 par Nicolas Paquet, lorrain de naissance, qui arrive à Marseille comme agent maritime.

Cette compagnie est connue pour avoir développé la ligne maritime entre la France, le Maroc et le Sénégal. L’histoire commence en 1860, année durant laquelle les espagnols connaissent des difficultés dans leurs relations avec le Maroc. En effet, la région du Riff au Maroc se rebelle. Aussi, la compagnie Paquet va porter mains fortes aux espagnols en permettant le transport des troupes et l’approvisionnement par voie maritime.

Nicolas Paquet instaure progressivement la liaison entre la France et le Maroc.

La société se développe peu à peu, elle passe du Languedoc, premier bateau de 350 tonnes à 24 bateaux représentant 60 000 tonnes en 1926.

Nicolas Paquet fonde une maison du commerce ayant pour principal objectif de soutenir la compagnie d’armement et d’aider au développement des affaires avec le Maroc. Afin de couvrir les frais de l’entreprise, la ligne maritime est poursuivie jusqu’aux îles Canaries.

Le développement du trafic se réalise de manière progressive et continue, jusqu’à l’instauration par le frère de Nicolas Paquet, de départs réguliers les 7 et 22 de chaque mois, ce qui atteste de l’ancrage de l’entreprise dans le secteur maritime.

Mettre en lumière une partie de l’histoire commune entre le Maroc et Marseille permet d’acquérir des clés de compréhension sur la présence de marocains et marocaines sur notre territoire. Marseille a été pendant plus d’un siècle, capitale coloniale, du fait de sa proximité avec la mer et le continent africain. Cet élément historique est donc marqueur d’identité et a pu laisser des traces bien longtemps après le processus de décolonisation.

  • L’imaginaire coloniale au travers des affiches et cartes postales

Lorsqu’on évoque le phénomène de décolonisation, l’attention est souvent portée sur le cas de l’Algérie et laisse à penser que le Maroc s’est vu accordé une indépendance de manière relativement pacifiée entraînant une certaine simplification dans les échanges franco-marocains. Il est alors intéressant de se pencher sur la logique coloniale propre au Maroc, qui se distingue de celle relative à l’Algérie française.

A ce titre, Pascal Blanchard apporte un éclairage probant sur le traitement du Maroc au travers de l’affiche française dans son article « le Maroc dans l’affiche française (1906-1956). Entre monde médiéval et colonie idéale ». Dans cet article, il met en avant le fait que le Maroc est avant tout présenté comme une destination de voyage paradisiaque, hors temps et surtout en dehors de tous enjeux politiques. Selon lui, le rôle des affiches produites sur le Maroc est de « faire rêver, d’inviter au voyage et d’offrir le Maroc aux Français… D’une certaine manière, cette production imagière est a-coloniale tout en s’inscrivant pleinement dans le spectre colonial. »

  • Perception de la main d’oeuvre marocaine

Marseille est une ville qui a évolué au travers de plusieurs vagues d’immigrations et notamment au travers de l’appel à une main d’œuvre étrangère. En effet, un grand nombre d’entreprises et d’industries implantés sur le territoire phocéen ont eu recours de manière significative aux travailleurs étrangers, que ce soit au sein des tuileries dans le bassin de Séon, ou encore des industries de sidérurgie ou de pétrochimie, sans oublier bien sur le port de Marseille, qui dès le XXème siècle fonctionne avec une part non négligeable de travailleurs immigrés.

Selon, une archive du syndicat des entrepreneurs de Manutention de Marseille, datant du 31 décembre 1937, la part des travailleurs nord-africains sur l’ensemble des dockers est estimée entre 10 et 15%.

Il est alors intéressant d’analyser la manière dont sont perçus ces travailleurs. On peut alors constater qu’une différenciation est opérée entre les travailleurs marocains et les travailleurs algériens. En effet, on peut voir que le travailleurs marocains sont considérés comme étant « plus sérieux », ayant une « meilleur adresse » que leur collègues nord-africains. Ils sont également vus comme étant beaucoup moins politisés que leurs camarades algériens.