On sait combien le chemin de la reconnaissance du débarquement de Provence fut long. Pour des raisons à la fois chronologiques et symboliques, le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 est toujours perçu comme le début de la fin de l’occupation nazie en Europe. Il a bénéficié d’une couverture protocolaire et médiatique importante et a été largement représenté dans les films, les livres et les documentaires. Cela a contribué à en faire un événement emblématique. Bien que le débarquement de Provence ait été stratégique pour libérer le Sud de la France et ouvrir un nouveau front, il est souvent considéré comme ayant eu un impact moins direct et immédiat sur la chute du régime nazi.
D’un débarquement à l’autre
Or le 15 août 1944, ce sont 95 000 soldats alliés, surtout Américains, Canadiens, et Britanniques qui débarquent sur les plages du Var. Ils devancent 260 000 soldats français, notamment des tirailleurs sénégalais, algériens, marocains et d’autres colonies africaines, et 5 000 auxiliaires femmes. Il s’agit de la fameuse armée « B » qui libère Toulon puis Marseille avant de poursuivre jusqu’en Alsace. Elle réunit des hommes et des femmes venus de cinq continents et notamment des territoires sous domination coloniale. Ceux qu’on appelait alors les « indigènes » combattaient côte-à-côte avec des Français des colonies et des évadés de la France occupée. Le débarquement de Provence, nom de code « Opération Dragoon », est meurtrier. Dans le Var et à Marseille, 4 800 soldats sont tués ou gravement blessés, dont 2 000 anglo-saxons.
L’appel du général depuis l’empire colonial
Après l’appel du 18 juin et avec les soldats qui ont rejoint la Grande-Bretagne, le général de Gaulle a organisé les forces françaises libres (FFL) en s’appuyant sur les colonies et territoires d’outre-mer. Son refus de la défaite avait trouvé un écho bien au-delà de la métropole. Son appel à l’honneur, adressé « À tous les Français », traduit dans toutes les langues coloniales, retentit au sein des populations colonisées.
Si les Africains ne se sont pas « levés comme un seul homme » pour libérer la mère patrie, comme le prétend la propagande coloniale, nul doute que l’appel fait son chemin au sein des populations sous domination. Engagés volontaires, les soldats coloniaux qui débarquent en Provence partagent les valeurs de liberté, et en attendent probablement une libération.
Ainsi, le combat contre les nazis suscite des engagements volontaires multiples et la participation des soldats coloniaux aux différents conflits a nourri le nationalisme des « indigènes ». L’Oranais ou le Sétifien, engagés côte-à-côte, peuvent se projeter dans une idée de la nation algérienne et les valeurs d’égalité et de liberté. D’autant que la cohésion des troupes a exigé l’égalité des soldes, qui est enfin décidée suite à la terrible bataille de Monte-Cassino.
De la fraternité d’arme à l’indépendance
Frantz Fanon écrit : « Chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes ». Issu d’une famille métisse de Martinique, il s’est engagé librement en 1943, à seulement 17 ans, pour rejoindre les armées de la France libre. Il a débarqué en août 1944 à Saint-Tropez et fut grièvement blessé dans les Vosges en novembre. Après guerre, devenu médecin psychiatre, il fut un militant de l’indépendance algérienne et des luttes de décolonisation, reliant clairement les deux combats, désignant l’idéologie raciale nazie comme un péril universel : « Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie… Le combat que mène un peuple pour sa libération le conduit […] à faire exploser les prétendues vérités installées dans sa conscience par l’administration civile coloniale, l’occupation militaire, l’exploitation économique. Et, seul le combat peut réellement exorciser ces mensonges »
C’est aussi le trajet de Ahmed Ben Bella, qui a joué pour l’OM en 1939-40. Durant le débarquement de Provence, il fait partie du 5e régiment de tirailleurs marocains de la 2e division d’infanterie marocaine (2e DIM). Promu adjudant, il est cité quatre fois dont deux fois à l’ordre de l’Armée et décoré de la médaille militaire par le général de Gaulle en avril 1944 en Italie. Il deviendra l’un des combattants de l’indépendance algérienne et premier président de la République algérienne de 1963 à 1965.