Cet ensemble d’archives, né au sein du Studio Rex, studio photo d’Assadour Keussayan, fait des migrations un patrimoine et nous rappelle qu’aucun lieu dédié à ces mémoires n’existe aujourd’hui à Marseille. 

Le titre, Ne m’oublie pas, sonne comme un rappel pour celles et ceux qui imaginent que la migration est un phénomène temporaire ou qu’elle relève du libre arbitre de chaque individu, et pour ceux qui se contentent d’évoquer ces mémoires à l’occasion, laissant orphelins de nombreux marseillais, par l’absence de lieu de mémoires des parcours familiaux et migratoires de la ville. Entre photos de « portefeuille » et photos de studio, le Studio Rex donne à voir un pan de l’histoire des migrations à Marseille. 

De l’Arménie à l’Algérie, l’hospitalité en récit

L’exposition valorise le fonds d’Assadour Keussayan acquis par Jean-Marie Donat pour donner à voir l’immigration. Elle est le témoignage des personnes qui ont fait souche ou étape à Belsunce. Ce  laboratoire de photo familial implanté dans le quartier durant deux générations et fermé en 2018, restitue les vies de milliers d’hommes et de femmes, originaires du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest, des Comores… Ils ont posé devant les objectifs de la famille Keussayan, rescapée du génocide arménien, pour des photos d’identité, des portraits individuels ou en famille, souvent envoyés à leurs familles restées au pays. Cette collection constitue un fonds mémoriel inestimable pour l’histoire marseillaise. Des photographies, anonymes et non datées, qui sont autant de traces et de preuves des anonymes qui ont fait de Marseille leur port d’arrivée, de passage ou d’ancrage et de Belsunce un quartier symbolique dans cette histoire collective. 

Vue de l’exposition © S.C.

Patrimoine dispersé ou non valorisable

Alertée par l’éditrice Martine Derain en 2005, le Musée national de l’histoire de l’immigration avait acquis le matériel du studio Rex : des artefacts dont la chambre, la grille, l’enseigne et quelques photos colorisées. Un ensemble dont on regrette qu’il ait quitté la ville et qui aurait permis au Musée d’histoire de Marseille, une narration des migrations, à sa porte.

Le fonds photographique a quant à lui été acquis par les Archives municipales en 2006 auprès de Grégoire Keussayan, fils d’Assadour. Il n’est pas valorisé à l’occasion de Ne m’oublie pas. En effet, lors d’une première exposition, Grégoire Keussayan a été vivement interpellé par un homme originaire des Comores qui a reproché aux Archives municipales l’utilisation de ces négatifs de photos de studio. Le code du patrimoine impose le respect des données personnelles durant 50 ans, période à partir de laquelle, elles sont communicables de plein droit. 

Lorsque le studio a fermé en 2018, aucun nom n’était inscrit au dos des images, aucune nationalité, aucune date non plus. Photos d’identité, photos grand format en poses de studio, portraits retouchés et pastellisés… 

La sauvegarde de Jean-Marie Donat donne à voir ces archives et à comprendre ce que ces photos racontent. L’acquisition se fait progressivement, pour un projet d’édition. Jean-Marie Donat travaille seul, et c’est dans une solidarité de classe qu’il revendique sa légitimité, ayant partagé la gamelle sur les chantiers, dans les foyers de ces ouvriers où il a été recueilli comme un fils alors qu’il se retrouvait à 16 ans, sans foyer. Entre pratiques d’amateurs d’archives et démarche artistique, il porte une réflexion sociétale et critique.