Le Pôle Régional des Musiques du Monde : un carrefour des diversités musicales méditerranéennes

Au cœur de Marseille, la Cité de la Musique abrite depuis plus de dix ans un espace unique : le Pôle Régional des Musiques du Monde. Sous la direction artistique de Manu Théron, ce lieu d’exception invite des artistes de tout le pourtour méditerranéen à façonner une Scène d’Intérêt National, avec le soutien indéfectible de la ville.

Les 28 février et 1er mars, la programmation met à l’honneur les musiques du Maghreb et du Machrek, inaugurant ainsi les veillées artistiques du Ramadan. Marseille, ville-monde par excellence, a toujours été un creuset de recomposition des identités culturelles. Le Pôle des Musiques du Monde, l’un des derniers espaces dédiés à ces traditions, incarne cet héritage en favorisant la création autour des répertoires arabes, arabo-amazighes et méditerranéens.

Un contexte sous tension

Pourquoi cette rareté des scènes artistiques consacrés à ces répertoires ? Est-ce l’effet des tensions renouvelées entre les rives de la Méditerranée ? Le principe de précaution pèserait-il sur le champ culturel ?

À voir le palmarès des Césars 2025, on pourrait croire ces interrogations caduques.

L’Histoire de Souleymane, sacré à quatre reprises, ainsi que les consécrations de Hafsia Herzi et Karim Leklou en tant que meilleurs actrice et acteur, semblent témoigner d’une reconnaissance du pluralisme. Pourtant, Mare Nostrum demeure au croisement de tensions économiques, diplomatiques et sécuritaires. Le film Ni chaînes ni maîtres, premier long-métrage français traitant de l’esclavage et du marronnage à l’île Maurice au XVIIIe siècle, réalisé par Simon Moutaïrou, en est une illustration frappante : malgré son excellence, il est absent du palmarès.

À Marseille, la question ne se pose pas de la même manière. La cité phocéenne, loin de se plier aux exclusions, a su retourner le stigmate de la diversité en une force. La programmation du Pôle des Musiques du Monde en est la preuve éclatante : qu’ils soient initiés ou simples curieux, les spectateurs affluent, séduits par ces scènes intemporelles et contemporaines du monde arabe et du Maghreb.

Hommage aux divas du monde arabe

Le 1er mars marque une première pour l’interprète Hind Chraïbi, qui rend hommage aux grandes divas arabes depuis plus de vingt ans. Son récital puise dans le répertoire de Fairuz, sous la direction du pianiste Amine Soufari et accompagné par les musiciens Nadia Tighidet, France Duclairoir et Vincent Cladere. Elle introduit les paroles, prenant soin de traduire pour offrir au public une immersion poétique et émotionnelle.

Marseille, capitale du raï ?

Le 28 février, à l’invitation du musicien Mehdi Laifaoui, en résidence d’artiste, un quartet se forme, rassemblant Mehdi Askeur, Jamel Reffes et Sofiane Saïdi, figures incontournables du raï. Ces artistes, combinant carrières solos et collaborations éphémères, insufflent une nouvelle dynamique à ce genre emblématique. Les classiques du raï s’enchaînent, réarrangés avec une modernité audacieuse. Un festival dédié à ce genre musical redonnerait à Marseille son statut de capitale du raï et au Pôle des Musiques du Monde, ses lettres de noblesse. Malgré l’ampleur des communautés concernées, ces répertoires restent trop peu présents sur les scènes institutionnelles. Pourtant, le public du raï dépasse largement les frontières communautaire, comme le démontre son succès intergénérationnel et international.

Le matrimoine des Medahates et la réinvention du raï

Issu d’une transmission orale et familiale, le raï révèle un héritage culturel puissant, notamment à travers le matrimoine des Medahates, ces groupes féminins qui, de génération en génération, initient les plus jeunes à une musique oscillant entre complaintes, autodérision et célébration de la vie. Du raï trab (traditionnel) au pop raï, le genre a évolué avec l’introduction d’instruments comme la trompette à pistons et l’accordéon, en complément du bendir et des krakibs (crotales). L’inscription du raï sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en tant que chant populaire d’Algérie et le succès planétaire de Disco Maghreb de DJ Snake attestent de sa vitalité.

Mehdi Askeur sublime cet héritage en interprétant Fais comme tu veux (Diri ki tebghi) et Cette vie est absurde (Had denia melha), avant de conclure avec l’incontournable Ya Mimouna Dhyaf Rabbi, une ode à l’amant éconduit.

Marseille, un bastion de la diversité musicale

Mue par une curiosité insatiable pour les musiques du monde, la Cité de la Musique s’emploie à réinventer les répertoires raï et arabes pour le plus grand bonheur des Marseillais. Contre vents et marées, elle perpétue cette tradition d’accueil et d’échanges culturels, conjurant ainsi les méandres d’une politique arabe de la France devenue inaudible.