Par Anne-Marie THOMAZEAU
Quand on questionne Mathieu Do-duc pour savoir si l’histoire de sa famille qui a connu la colonisation française en Indochine puis l’exil en France influe aujourd’hui sur son travail photographique, il hésite : « je ne sais pas », puis presque immédiatement : « sans doute… Je suis très sensible à l’injustice mais aussi à l’enfance. Je photographie beaucoup les enfants ».
Cette enfance, Mathieu en a été privé. Il a à peine sept ans, lorsqu’il arrive à Marseille avec une maman seule qui ne parle pas un mot de français et ses quatre frères et sœurs. La famille atterrit à la cité de la Sauvagère, puis aux Marronniers pour finir à Plein Ciel dans le quartier de Saint Marcel… Le père les rejoint. Militaire issu d’une famille aisée, il connaît le déclassement et se retrouve chauffeur livreur. Il est souvent absent. Sa mère, elle, fait le choix de partir s’installer aux États-Unis, laissant ses enfants pour un temps. A 12 ans, Mathieu devient le référent de la famille, fait les courses, supervise les devoirs du petit-frère.
Jeune adulte il se retrouve « par amour » en région parisienne et démarre la photographie par un travail de neuf années sur les enfants (déjà) d’une cité HLM de Fresnes en banlieue parisienne ; un travail présenté à nouveau « avec émotion », 30 ans plus tard, aux habitants du quartier dans le cadre d’un projet de cohésion sociale.
Photographe humaniste
Entre ces deux dates, Mathieu est fécond. De retour à Marseille, il édite le livre « Photo-la-graphie moi » rassemblant ses travaux sur les enfants en immersion urbaine. D’autres publications suivent des coffrets sur le jazz, les amoureux et un ouvrage sur les lecteurs d’ici et d’ailleurs « Lire A tout Prix ». Restant fidèle à l’argentique, et surtout au noir et blanc « qui me permet de m’abstraire de la pesanteur tyrannique du temps à laquelle nous assujettit notre société », il s’inscrit dans la lignée des photographes humanistes comme Edouard Boubat ou Eugène Smith. Du simple passant de la rue aux musiciens de jazz, des enfants aux seniors, à Marseille ou loin dans les villes du monde, au Vietnam mais aussi au Bénin, il a à cœur de capter la beauté, la gravité, la poésie d’un geste, d’un regard, de chaque moment de la vie au quotidien qui défilent devant son appareil.
Une responsabilité occultée
Il a 40 ans lorsqu’il retourne pour la première fois au Vietnam : « un choc de me rendre compte que j’étais si peu d’ici. Un Việt Kiềucomme on nous appelle. Je ne cessais de me demander quelle vie j’aurais eu si nous étions restés ». C’est à cette période qu’il commence à s’intéresser à l’histoire de son pays d’origine et à appréhender la responsabilité de la France en Indochine : « La tragédie de la guerre du Vietnam avec les Etats-Unis a comme occulté la colonisation française. Pourtant si l’indépendance avait été octroyé à Hồ Chí Minh en 1945 des millions de morts auraient été évité ».
Pour commémorer les soixante ans de son arrivée en France, Mathieu a décidé d’exposer 60 photos. On pourra découvrir son travail du 15 au 21 décembre à la galerie 3013 à Marseille. Mais Matthieu rêve aussi d’un lieu plus intime et pourquoi pas un restaurant vietnamien. « pour moi comme pour des milliers de vietnamiens de la diaspora, c’était le lieu où on se retrouvait, où on parlait sa langue. La nourriture et les recettes de cuisine c’est souvent ce qui reste quand on a tout perdu ».






