Les « procès du siècle » sont devenus des rendez-vous incontournables pour les amateurs de questions contemporaines en quête de débat qualitatif : les échanges s’y construisent autour de l’argumentation et la présentation de pièces à conviction, invoquées sous forme d’œuvres, de témoignages, voire de photos de famille… L’espace de délibérations fait la part belle aux citoyens, conservateurs et chercheurs dans une savante articulation. La commission d’enquête et la restitution du débat contradictoire étaient assurées le 11 mars par les élèves de seconde du Lycée Pierre-Gilles de Gennes de Digne-les-Bains.
Restitution, hommage public dans la toponymie, patrimoine statuaire, étaient interrogés. Des questions qui illustrent les combats et agitent nos sociétés contemporaines. Le titre « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » semblait annoncer un débat clivé, mais c’est autour d’expertes du sujet que se tient le procès mené par Rokhaya Diallo. Faut-il faire du « cas par cas », traiter une allégorie de la même façon que la statue d’un militaire ayant massacré des populations civiles sous l’esclavage ou les guerres coloniales ?
Qui sont ces personnalités qui ont assuré leur postérité et mobilisé la souscription citoyenne, pour que le récit national garde leur trace ? Faut-il rééquilibrer en genre, origine et personnalités locales ou plus radicalement, « renverser la table » et ne plus laisser l’empreinte de ceux qui commis l’inacceptable au « nom de la patrie reconnaissante » ?
Interroger la « radicalité »
Eva Doumbia (autrice, metteuse en scène, comédienne), membre fondatrice du collectif d’artistes Décoloniser les arts, invite à interroger les pratiques artistiques à l’aune des « rapports raciaux » hérités de la colonisation française et de l’histoire de l’esclavage. Elle préconise de poursuivre cette sensibilisation comme une démarche à la fois personnelle et collective et d’analyser la colonialité à l’œuvre dans le monde des arts et de la culture en France, en s’appuyant sur l’ouvrage Décolonisons les arts ! de Leila Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès. Pour Nacira Guénif-Souilamas, autrice d’essais de sociologie sur la question des représentations qui font date, il s’agit de s’émanciper d’une occultation délibérée en articulant pédagogie et interpellation, et de démystifier l’idée que nos institutions patrimoniales « prennent soin » des objets collectés dans les colonies.
Il s’agit de décentrer le regard et d’admettre que la dépossession et la scénographie encore écrasante soient dénoncées.
La radicalité des postures est souvent interrogée dans le champ de la recherche universitaire ou de l’action militante autour des dialogues féministes décoloniaux, ou des préconisations autour des restitutions. Ces évolutions, souvent qualifiées de « radicales », ont produit de nouvelles formes de savoirs qui diffusent durablement la pensée décoloniale.