Avec la montée des extrêmes droites et des nationalismes en Europe, les diasporas postcoloniales sont confrontées aux préjugés et aux discriminations, dans le domaine de l’emploi, du logement, de l’éducation. Cette perte d’opportunités affecte leur qualité de vie. Et leur surreprésentation dans des emplois précaires ainsi que la sous-représentation dans les instances politiques, limitent leur capacité à influencer les politiques publiques et à défendre leurs intérêts.
Haine intercommunautaire
Ce contexte, hostile à l’immigration, crée un climat d’insécurité pour tous. Il favorise une concurrence généralisée et le renouvellement des identitarismes diasporiques. Les minorités sont arrivées à des dates différentes, et certaines assignent à d’autres communautés nationales ou ethniques les problèmes d’insécurité. Il ne reste qu’un seul gagnant, le rejet !
Aujourd’hui, la haine intercommunautaire connaît un regain régulier. Les questions de frontières issues des décolonisations n’étant pas réglées, les projets de développement démocratique et économique promus par les mouvements tels que le panafricanisme, n’ont aucune chance d’être développés. La résolution des conflits ne semble réaliste que dans la limite des États-nations, alors que les groupes ethniques ou de locuteurs se reconnaissent souvent, au-delà des délimitations héritées du colonialisme, sur plusieurs pays.
L’ère de l’émotion radicale
Cette complexité n’est pas étonnante au regard de la diversité des peuples, de leur circulation et de leur interaction socio-historique. Mais à l’ère de la post-vérité, du fait de la montée en puissance des médias sociaux, l’espace de la pensée complexe et l’information vérifiée se restreint. Les débats s’orientent vers l’émotion, ignorant, consciemment ou non, les faits ainsi que la nécessité d’y soumettre leur argumentation.
Dès lors, les formes de haine mobilisant les espaces d’appartenance intercommunautaires offrent un terrain de jeu sans limite. À chaque conflit (ré)activé, le trauma postcolonial délivre son lot « d’experts 2.0 », formés à une approche politique binaire, campiste, érigeant en « trahison » toute question et créant un climat délétère en matière d’esprit critique.
Car en ligne, la radicalité permet de se rendre visible ! Le déchaînement de haine permet de gagner une forte visibilité à moindre effort. Entre haters nationalistes et suprémacistes de toutes origines, l’internationale de la haine s’exprime au sein des réseaux communautaires, aux deux sens du terme : communauté du web et communauté nationale, entièrement consacrées à la haine en ligne, dans une illusion d’autochtonie perdue voire de « race pure ».
Ces comptes font référence à « l’Histoire » et mobilisent des qualificatifs, tels que janissaire, kouloughli, moorish pour identifier les « ennemis de la nation ». La tentative de rallier les jeunes binationaux des diasporas, en les soumettant à des fake news ou des interprétations biaisées pour grossir leurs rangs, est manifeste.
Alors que les pays du Maghreb ont su s’unir dans la lutte contre la colonisation et en faveur de l’indépendance, certains membres des diasporas rejouent les influences et intrigues, important des conflits au service de la permanence des pouvoirs en place. Une montée des périls préoccupante.
La création de l’Union du Grand Maghreb avait suscité un immense espoir au sein des peuples de la région et l’histoire semblait s’écrire de la meilleure des manières. C’était sans compter les bouleversements politiques et technologiques.
Nouveau fascisme
D’une guerre froide maghrébine à l’émergence de « patriotes digitaux autoproclamés », les conflits se sont déplacés sur les réseaux sociaux. À l’instar des mouvements identitaires et patriotes européens, ils relaient un nouveau fascisme, qui connaît un essor fulgurant. X (anciennement Twitter) a remplacé les tranchées et l’anonymat a libéré la violence des attaques entre les frontières sud-sud et nord-sud. Insultes et fake news s’échangent allégrement entre des ressortissants convaincus que chacun détient la vérité. La haine est attisée par le développement de faux comptes, la propagande multipliée via les réseaux sociaux. Chaque camp aiguise ses « arguments » pour clamer sa suprématie. Oubliées la solidarité, l’intégration économique et la fraternité, les réseaux communautaires traditionnels qui ont joué un rôle crucial dans le soutien au développement au Sud et de la cohésion sociale au Nord. Place à la haine !
Les seuls perdants sont les peuples, embarqués dans des conflits artificiels qui les dépassent et dont les gouvernants se servent pour asseoir leur pouvoir, souder des populations montées les unes contre les autres, sans perspective de paix ou d’espoir d’un avenir meilleur.