Depuis son atelier marseillais, l’artiste creuse l’histoire du Maroc et ses récits d’exil à travers les objets souvenirs et les diasporas marocaines en Europe. Prenant comme point de collecte son atelier marseillais dans lequel il devient dépositaire de leur récit, il malaxe inlassablement le même matériau : l’exil, la migration, le déracinement.

Diasporik : Quelle est la genèse de cette exposition? 

Badr El Hammami : Initialement, je voulais ouvrir l’espace de mon atelier à Marseille pour collecter les récits en proposant à chacun.e d’amener un objet. L’exposition a pris forme autour de la restitution des histoires collectées, et le tiroir est devenu le fil conducteur de ce parcours visuel et sonore. Il s’est alors dessiné un itinéraire, dans lequel chaque ouverture permet l’écoute d’un récit, d’un objet, d’une provenance, d’une transmission… On retrouve également des objets racontés, qui sont des objets intimes, des objets souvenirs.

Comme la fibule ? 

Oui. En Méditerranée nous partageons des identités plurielles notamment afro-amazighes. L’un des objets racontés est la fibule. Ce bijou hérité de nos grands-mères passe d’une génération à l’autre. Portée depuis le 7e siècle avant notre ère en Europe, la fibule fait partie d’un patrimoine commun de l’humanité depuis l’âge de bronze. Appelée tazerzit en amazigh, elle se fait broche, insigne ou amulette à l’occasion. Généralement constituée de métal, elle sert à fixer les extrémités d’un vêtement.

Quel objet avez-vous retenu pour l’affiche de l’exposition ?

Il s’agit d’une poterie du quotidien. Un pichet, El ghoraf, céramique marocaine en terre cuite peinte à la main avec du goudron naturel (El Kotran, la  poix).Traditionnellement, ces bols sont utilisés pour boire de l’eau, car ils désinfectent l’eau et lui donnent également une saveur particulière. La céramique maintient la fraîcheur naturelle de l’eau. Ces objets du quotidien sont présents en exil et conservent les saveurs du pays d’origine. Les motifs sont simples et réalisés au doigt, marquant l’objet, en quelque sorte, d’empreintes indélébiles. 

À Bruxelles la communauté marocaine est importante. Est-ce la raison pour laquelle vous avez retenu la capitale belge ?

Les Marocains constituent un groupe social majeur en Belgique et 2024 célèbre les 60 ans des accords bilatéraux de coopération et des migrations de travail entre le Maroc et la Belgique. Leur provenance est principalement du Rif, une région amazighe singulière, du fait de son histoire de résistance à la colonisation espagnole puis française. Avec une langue et une identité régionales fortement ancrées dans le terroir et les traditions amazighes. 

L’exposition est une invitation au voyage ?

Exactement, une invitation à sortir nos histoires de nos tiroirs. Les migrants emmènent toujours avec eux un objet souvenir. Comme une ancre. Un objet embarqué, lourd de sens, et destiné à sécuriser le périple sans oublier le point de départ vers sa destination. Ces objets sont malheureusement voués à disparaître, parce qu’ils relèvent de l’intime. Il peut paraître impudique de les mettre en dialogue, on n’aime pas toujours l’espace de partage avec les autres, et parfois on veut garder pour nous… Mais j’avais envie de révéler ces objets souvenirs, ces trésors qui sont « entre nos mains », à travers celles et ceux qui est les possèdent.  Ensemble ils constituent une mémoire collective importante, parce qu’elle raconte le déplacement et l’attachement de toute la communauté amazighe au travers de cette transmission culturelle.

Une culture transmise oralement par les femmes ? 

Oui. Je suis berbère, je suis rifain, Cette culture m’habite et elle m’a été transmise oralement. Ce n’est pas parce qu’on n’écrit pas notre culture qu’elle n’existe pas. Dans cette culture les femmes occupent une fonction centrale : elles la transmettent. La fouta qui cintre le corps des femmes sans les contraindre, est un des objets importants.  Élément de parure de femmes, déclinée en tissu ou en laine selon la saison, elle fait partie de la « collection » de ces choses fragiles  que nous avons « entre nos mains ».