Zébuline. Vous organisez trois jours de formation sur les discriminations en direction des tsiganes. Pourquoi avoir eu envie de commencer par ce sujet ?
Samia Chabani. L’entrée principale de cette formation est la prise en compte des discriminations dans les pratiques professionnelles. Il est essentiel de préciser qu’elle est soutenue par la Fondation de France. Au sein de l’enjeu de lutte contre les discriminations, l’antitsiganisme demeure l’un des « angles morts ». À Marseille, le contexte de rejet autour de la possible création d’un village d’insertion pour populations romanis [projet finalement reporté par la préfecture, ndlr], illustre l’enjeu d’une meilleure connaissance des parcours résidentiels, migratoires et des conditions de vie de ces populations.
À qui s’adresse cette formation ?
À une mixité de publics : des professionnels, agents de service public qui sont en charge de ces questions, mais aussi à des intervenants bénévoles ou en service civique, intervenant dans le cadre de l’accompagnement social ou culturel, l’hébergement d’urgence, l’accès aux droits et aux soins. Des personnes qui interviennent, sans avoir nécessairement bénéficié d’une formation initiale ou continue sur la prévention des discriminations. Sophie Latraverse, juriste experte en RSE rappelle que 82% des employeurs déclarent n’avoir reçu aucune formation sur les discriminations.
En quoi cette discrimination se distingue-t-elle des autres formes de racisme ?
Il y a chez les populations tsiganes, un cumul de représentations péjorées qui font d’eux une « classe dangereuse » : suspicion de traite humaine, de vol, de délinquance, criminalisation du nomadisme… Autant de stigmates liés à un mode de vie singulier autant qu’à l’assignation sociale produite par la catégorisation administrative et plus largement à l’exclusion. Beaucoup de gens associent romanis, tsiganes, gens du voyage… alors que l’on parle de groupes sociaux différents. C’est intéressant aussi de voir qu’aujourd’hui combien on promeut la mobilité comme une compétence à haute valeur ajoutée, alors que le nomadisme apparaît toujours comme un mode de vie marginal et déprécié.
Vous invitez Ilsen About, un historien qui s’intéresse à l’histoire des politiques antitsiganes au XXe siècle. Comment cette discrimination d’État s’est elle matérialisée ?
De différentes manières : l’enfermement des tsiganes, mais aussi par la création du carnet anthropométrique [document administratif créé en 1912 pour surveiller les déplacements des populations nomades, ndlr]. On peut dire que les tsiganes ont subi une forme de contrôle social et administratif (fichage) extrêmement puissant – qui a pu concerner d’autres populations – mais qui perdure encore, et participe à cette représentation de « classe dangereuse ». Sans oublier que les tsiganes ont également été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Comment peut-on analyser, ou quantifier, le racisme dont sont victimes les populations tsiganes aujourd’hui ?
L’objet du cycle en trois sessions est d’invoquer différentes formes de discriminations, mais aussi d’introduire des concepts qui nous permettent de les penser. L’approche pluridisciplinaire et l’alternance d’interventions entre chercheurs et professionnels y contribuent. Si les discriminations sont réelles, on a une difficulté à les documenter et à les prendre en compte, car on n’a pas le droit de faire des statistiques ethniques mais également à faire valoir le droit pour aboutir à de véritable recours juridique. Il y a quelques années, la Cnil a autorisé la création d’une enquête qui s’appelle Trajectoires et origines, qui a permis de quantifier les discriminations et de les distinguer [sous la direction de Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon, qui intervient dans la session de juillet, ndlr]. L’enquête statistique réalisée conjointement par l’Ined et l’Insee éclaire la question des inégalités et des discriminations. Elle illustre l’impact systémique des discriminations en France, notamment celles des discriminations liées à l’origine. L’assignation raciale est un concept qu’on a du mal à penser en France. La reconnaissance de l’absence de race ne suffit pas à résoudre la question du racisme. Tout l’enjeu de cette formation est de montrer comment la construction sociale de la « race » permet d’identifier les processus de racialisation. Le cycle de formation mobilise les experts du sujet, comme la sociologue Sarah Mazouz, autrice de Race aux éditions Anamosa, ouvrage qui propose une approche critique de la notion de race. Nous nous faisons également l’écho des actions du réseau local ou du Défenseur du Droit. La formation se tient à la Maison départementale de lutte contre les discriminations.
Le champ culturel joue-t-il suffisamment son rôle dans la lutte contre les discriminations envers les tsiganes ?
C’est paradoxal. Le champ culturel a pu contribuer à lutter contre l’antitsiganisme, en valorisant ces cultures (on pense à des artistes comme Django Reinhardt), tout en renforçant des stéréotypes, tels que la figure hyper sexualisée de la « gitane ». Récemment, on peut saluer la scénographie de l’exposition Barvalo au Mucem, qui a été une très belle réussite. Le projet a été pensé avec les peuples romanis, qui ont pu apporter le regard des concernés… Le musée du Gadjo de l’artiste Gabi Jimenez était une forme innovante de retournement du stigmate. Cette méthode participative devrait être la règle, pas l’exception. La commissaire de l’exposition Julia Ferloni et William Acker seront présents pour partager leur expérience. Enfin l’institut Calam sera présent pour évoquer l’articulation entre les identités religieuses et LGBTQ+.