Nous vivons, en France, une situation inédite. L’extrême droite, donnée largement en tête dans les sondages sur les intentions de vote aux Européennes, peut faire basculer les précaires équilibres européens vers des positions fascistes, et pourrait gagner les prochaines élections présidentielles. Le parti de Marine Le Pen domine le paysage politique, objectivement secondé par les transfuges de Zemmour, qui exhibent quant à eux racisme, sexisme, homophobie et transphobie comme au bon vieux temps de grand-papa (celui de Marion Maréchal, le papa de l’autre).
La responsabilité politique incombe évidemment à la Macronie, qui est restée sourde à toutes les protestations sociales et a fait voler en éclat la gauche puis la droite. Mais elle repose aussi sur les partis de gauche qui ne parviennent pas à construire le socle commun d’une alliance et veulent, chacun, l’hégémonie ; et à la droite qui vote les lois anti-sociales avec Macron, puis pactise largement avec le diable vaguement dédiabolisé du RN, ou à l’état brut de Reconquête. Et elle prend largement racine dans l’hypocrisie d’une classe politique qui instaure la parité et prône la diversité mais n’a jamais été fichue, depuis Ségolène Royal, de concevoir une femme, un·e racisé·e et/ou un·e LGBTQI présidentiable.
Résultat ?
L’hypocrisie politique génère l’abstention massive des minorités et la pensée dialectique est devenue impossible à énoncer dans le débat public. Les médias dominants somment les politiques de répondre aux raccourcis, de choisir leur camp, d’expliquer clairement des réalités complexes : ils ne peuvent pas à la fois condamner les attentats du 7 octobre et dénoncer le colonialisme israélien, comprendre les difficultés économiques des agriculteurs mais refuser les pesticides, soutenir la production locale mais une humanité internationale, défendre la laïcité et l’universalisme en faisant place aux religions et cultures minoritaires, continuer le combat féministe dans la diversité des définitions de genre…
Accepter la complexité
Cette pensée dialectique, qui n’a jamais empêché la résolution et la décision, nous est cependant nécessaire, alors que l’horizon national et planétaire est à ce point embruni. Justement, parce que nos horizons se teintent si franchement de brun. Nous avons besoin d’échapper aux raccourcis manichéens que les scoops, les gros titres et les phrases chocs nous imposent, et pas seulement sur CNews. Nous avons besoin des pas de cotés, des humoristes, de l’art, de la beauté, pour faire surgir les aspérités de représentations médiatiques lissées et abrasées, et déminer les discours de haine en nous redonnant l’amour de l’altérité.
Pour contribuer à cela, Zébuline fera désormais plus de place encore, dans ses pages, aux questions culturelles posées par l’évolution des féminismes, des questions queer, des luttes écologistes, des cultures des diasporas.
Pour commencer, nous ouvrons nos pages à l’association Ancrages et à Samia Chabani qui tiendra régulièrement la rubrique Diasporik. Affirmer et reconnaître les cultures des diasporas, hors du fait religieux où on veut les réduire, est plus que jamais essentiel, à l’heure où les actes antisémites se multiplient, et où Zemmour affirme sans sourciller la supériorité des chrétiens sur les musulmans, et de Mozart sur la musique orientale.