Après avoir longtemps traité du déni des discriminations en France, dans ses recherches et notamment sa publication A l’épreuve des discriminations, Julien Talpin, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du racisme et des quartiers populaires revient sur la question, avec la nouvelle enquête sur la diaspora française musulmane, « La France, tu l’aimes mais tu la quittes », aux côtés Alice Picard, chercheuse et d’Olivier Esteves, spécialiste de l’immigration du monde anglophone. 

Publiée au Seuil, les parcours de re-expatriation de Mourad, Samira, Sandrine, Vincent… sont édifiants. Nés en France, diplômés de l’enseignement supérieur, , stigmatisés pour leur religion, leurs noms ou leurs origines, tous.tes ont subi en France une discrimination sur le marché de l’emploi, et se sont installés à Londres, Dubaï, Casablanca, Montréal ou Bruxelles, pour une meilleure prise en compte de leurs compétences. 

Anywhere without discrimination

Sont-ils simplement emblématiques des nouveaux profils des « anywhere », qui sont en mesure de travailler de n’importe où avec un ordinateur connecté, contrairement aux « somewhere », ancrés dans leur terroir, ou représentent-ils également un malaise lié au rejet de l’enracinement durable de musulmans en France ?

Les « deux clans » décrits par David Goodhart, illustrent  l’une des formes de la nouvelle fracture mondiale avec un clivage fondé sur la mobilité comme compétence et aptitude professionnelle : il s’agit bien là d’une partition gagnants versus perdants de la mondialisation. Ainsi en s’exilant, ces Français de culture ou de confession musulmane, trouvent à l’étranger l’ascension sociale qui leur était refusée en France. 

Des polémiques remettent en cause la méthode, la durée ou l’échantillon quantitatif de plus de 1000 personnes. Pourtant cette enquête sociologique confirme pourtant ce que les enquêtes Trajectoires et origines (Brinbaum et Primon, 2013 ; Meurs, 2017) menées sous la direction de Patrick Simon, illustrent de longue date . : il y a de fortes inégalités sont objectivement observées dans l’éducation, l’accès à l’emploi ou les niveaux de revenus, au détriment des minorités visibles d’origine maghrébine, subsaharienne ou turque notamment.

Exception française

En interrogeant les élites minoritaires, l’étude détaille leurs formations, comment elles sont assignées à un islam réel ou supposé, les raisons de leur départ, le choix des destinations, l’expérience de l’installation et de la vie à l’étranger, le regard qu’elles portent sur la France, leurs perspectives de retour… Mais ce n’est pas seulement une fuite des cerveaux que l’ouvrage documente : se révèlent en creux les effets délétères de l’islamophobie qui, vus d’ailleurs, semblent bel et bien constituer une exception française.