Photo @Véronique Marcel
La cité de la musique et le pôle des musiques du monde qu’elle abrite est une ruche bourdonnante d’artistes et de collaborations, offrant à Marseille un aperçu du monde à travers les musiques du monde. Le festival Mehfil de l’Association Taal Tarang – Indian Arts Academy, fondée à Marseille en 2012 par Nabankur Bhattacharya, musicien et joueur de Tabla, et Maitryee Mahatma, chorégraphe et danseuse Kathak, a clôturé sa 9ème édition à la cité de la musique vendredi dernier. L’association contribue à la promotion des arts indiens par l’enseignement de la danse, de la musique et l’organisation du festival. Cette année, le thème du festival est le voyage, un défi relevé par le syncrétisme entre les cultures hindoue et soufie, inhérente à la culture et à la langue urdu, une langue empruntée à l’hindou et au persan, à laquelle le spectacle rend hommage.
Les siècles de tradition portés par ces arts sont l’occasion d’un hommage aux rois Moghols, dont les cours royales furent des espaces privilégiés d’expression et de mécénat essentiels au développement du Mehfil. En 1526, l’Empire moghol marque l’apogée de l’expansion musulmane en Inde. Aujourd’hui, ces événements sont généralement organisés dans les maisons des mélomanes particulièrement avides ou des amateurs de rassemblements de récitation de poésie. Les ghazals, genre couramment interprété lors des mehfils, prennent une place d’honneur dans ces rassemblements appelés « Mehfil-e-Mushaira » en urdu. Ces festivités combinent l’art de la poésie, le chant, la musique et la danse en provenance de l’Inde du Nord. Benoît Gorlich, passionné de l’Inde et de ses spiritualités, introduit les différents tableaux décrits et documentés par intervalles avec une précision historique précieuse pour les non-initiés. Le public, nombreux et divers, se laisse porter par la voix de Madhubanti Sarkar, chanteuse de musique semi-classique indienne dont le prénom est aussi le titre d’un célèbre râga, cadre mélodique permettant aux chanteurs d’improviser pour exprimer un sentiment tout en montrant leur virtuosité.
L’extase créée par l’interprétation de Madhubanti Sarkar s’associe aux chorégraphies de Maitryee Mahatma, dont la performance est exceptionnelle. Ses ghunghuru, bracelets de cheville à grelots, véritable instrument de musique à la technique très évoluée, créent des joutes rythmiques entre la danseuse, le percussionniste aux tablas et le sitar de Nazar Khan.
Les trois tableaux qui se succèdent nous emmènent à travers l’Inde du Nord à la découverte de diverses figures emblématiques de la culture hindoue. Maitryee Mahatma, experte par son héritage mais également par ses recherches universitaires consacrées à Sita et ses doubles : mythes et représentations dans l’œuvre d’Ananda Devi, Thèse 2008 Université Paris 13 Lettres, explore les figures mythiques féminines indiennes. Sita, divinité de l’hindouisme, représente l’un des avatars de Lakshmi, la compagne de Vishnu. L’occasion de découvrir une mythologie dont les influences sont mondiales et irriguent de nombreuses cultures. Dans le Rāmāyaṇa, Sītā est l’épouse de Rāma avec qui elle connaît une vie sentimentale tourmentée. Les chorégraphies évoquent différentes divinités, et Maitryee décompose chaque geste, chaque expression du visage ou des mains, donnant vie tour à tour à une fleur et à une étoile.
Nous sommes transportés dans l’univers du film de Jalsaghar – Le Salon de musique, réalisé par Satyajit Ray et sorti en 1958, où un monarque sur le déclin consacre toute sa fortune à célébrer de grandes fêtes pour maintenir son rang, mais aussi par amour de la musique.
En plus de l’héritage millénaire de la danse indienne, Maitryee Mahatma poursuit ses expériences chorégraphiques en dialogue avec d’autres danses, notamment le flamenco et la danse africaine contemporaine, toujours au fil de ses rencontres artistiques. Le festival se clôture par la diffusion de « Latcho Drom » de Tony Gatlif. À travers la musique, le chant et la danse, ce film évoque la longue route des Roms et leur histoire, du Rajasthan à l’Andalousie. « Latcho drom », qui signifie « bonne route » en romani, rappelle combien les arts voyagent autant qu’ils nous font voyager.
Entre transmission et valorisation de la culture indienne, Taal Tarang illustre combien Marseille rayonne par ses ressources diasporiques et vivantes.