Le point de bascule décolonial d’Anna Safiatou Touré
Tipping Point FRAEME, La Friche Belle de Mai jusqu’au 28/09/2025
Baignée dans sa jeunesse, par les collections du Quai Branly, le travail d’Anna Safiatou Touré revient sur le rapport à la collection, à l’archivage, en prenant soin de mettre à distance le regard blanc et européanocentré.
TIPPING POINT est le fruit d’une collaboration et d’une mutualisation entre Fræme, à Marseille et deux structures curatoriales belges Le Botanique et l’ISELP, toutes actives dans l’art contemporain. Ce partenariat né autour de l’exposition Tipping Point, à la Friche la Belle de Mai, réunit dix artistes et notamment celui d’Anna Safiatou Touré qui revendique une approche de déconstruction des discours coloniaux. Dans l’exposition, des masques ou des objets africains vendus aux touristes jouent sur le vrai et le faux, un musée fictif aux allures de jeu vidéo propose une interaction avec le public.
Une démarche en résonance avec le point de bascule évoqué dans le titre, Tipping point en référence au sentiment de rupture omniprésent des sociétés contemporaines traversés par les bouleversements climatiques, l’accélération numérique, la polarisation politique…Une copodruction Marseille-Bruxelles à ne pas manquer, nées dans deux métropoles européennes, anciennes capitales coloniales, connectées à d’autres espaces géographiques et riches de leur cosmopolitisme.
Portrait :
Après une classe préparatoire en banlieue parisienne, à Issy-les-Moulineaux, Anna Safiatou Touré intègre les Beaux-Arts de Nantes, puis arrive à Bruxelles pour étudier la photographie. Aujourd’hui, sa pratique artistique est tournée presque entièrement vers des questions liées à la décolonisation. Née à Bamako, elle conserve peu de souvenir de son pays natal, car elle arrive très jeune, en France et n’est pas encore retournée au Mali.
Ses productions cherchent à combler le vide laissé par les objets et les archives manquantes d’un récit historique biaisé.
Sa pratique s’articule autour de ce manque, celui de ne pas connaître son pays d’origine et de la découverte du biais présent dans la muséographie européenne. Dans l’entretien mené par Nancy Casielles, historienne de l’art, pour le catalogue, d’Anna Safiatou Touré revient sur son histoire personnelle et sur la signification des espaces que l’on occupe au quotidien dans ces pays, les sculptures qui y sont déployées. Très vite, elle prend la mesure du biais lié à l’histoire coloniale. Elle réalise des sculptures et invente une nouvelle langue qui propose de réécrire des pans d’histoire invisibilisés.
Une langue, au croisement de l’intime et du soin.
Créant son propre dictionnaire, à partir du Dgéba, une des langues mandées du Mali, participe à mettre à distance les langues dominantes et de développer un langage propre. Son dictionnaire est en perpétuelle évolution, enrichi par ses créations. Et lorsque ses œuvres nécessitent un texte à dire, elle puise directement dans cette langue.
Masques aux histoires perdues
Elle utilise les codes muséaux pour interroger la place du masque africain dans les institutions occidentales. Dans ce musée fictif, les masques deviennent des entités à part entière, dotées d’une parole. Le Gamanké Museum, le jeu vidéo permet de nombreuses interaction avec les spectateur.trices et prend la forme d’une collection de masques gamanké du pays Kanéma, que l’on découvre à travers la visite virtuelle d’un musée.
The Faces Collection, pièce constituée de 819 masques miniatures réalisés à partir de l’empreinte de masques authentiques récupéré chez un collectionneur de Louvain-la-Neuve, illustre combien les sites de ventes aux enchères regorgent d’artefacts, dont la recherche des origines s’efface avec les histoires familiales. Ici, des objets de l’époque coloniale au Congo, revendus à bas prix, vidés de leur contexte, et dont les informations essentielles qui leur étaient attachées sont perdues. Anna Safiatou Touré leur redonne une voix et une place dans l’histoire.






