Par Lilli BERTON-FOUCHET photo @cineuropa
Au printemps dernier, sortait Fanon, film biographique sur le militant décolonial et psychiatre, rélaisé par Jean-luc BARNY. Entretien avec Sébastien ONOMO, fondateur de Special Touch Productions, à l’origine du film.
Special Touch Production porte une attention particulière aux récits issus des diasporas afrodescendantes, quelle est votre ligne éditoriale ?
Sébastien Onomo. La société fête ses dix ans cette année, une association que j’avais à l’époque avec Olivier Laouchez, leader du groupe Trace. Venant de la production, j’avais à cœur d’être des premiers à accompagner les films qui m’ont manqué quand j’étais jeune et que j’avais envie de voir pour les nouvelles générations en me disant que ça leur permettrait de grandir avec ces histoires. Ça m’aurait aidé dans ma construction personnelle à avoir plus vite confiance en moi, et en discutant, ce sentiment-là, je n’étais pas le seul à l’avoir. Encore aujourd’hui, cela nous motive dans les choix des projets : donner accès à des récits qui sont peu connus, méconnus, ou qui sont communautaires, mais, je les trouve particulièrement universels.
Vous êtes basé à Marseille, est-ce que vous avez un ancrage particulier dans cette ville ?
Oui, on a trouvé que c’était une ville carrefour d’influence et de culture qui correspondait bien à l’ADN de nos films. On s’est implanté là, pour notre grand bonheur parce qu’il y a un tissu industriel fort, motivé, compétent, talentueux. Donc, la société s’y est développée parce que l’écosystème y est favorable.
Qu’est-ce qui a guidé vos choix de production du film Fanon réalisé par Jean-Claude Barny ?
Notre stratégie était simplement de dire que le regard de Jean-Claude est le regard d’un Guadeloupéen, sur cette histoire. J’ai grandi avec les biopics de Malcom X, de Martin Luther King, etc., et j’avais envie de proposer ce type de récits à un public français et de focaliser notre attention sur un moment marquant de la vie de Fanon : son engagement politique, son engagement de médecin, son humanité, toutes ces dimensions-là en amenant un aspect « romanesque ».
Il y a un autre film sur Fanon d’Abdenour Zahzah, sorti en la même année, qui a été primé en Afrique, mais beaucoup moins financé. Est-ce que vous sauriez un peu expliquer ces différences ?
Honnêtement, je n’en ai aucune idée, je ne connais pas leur financement mais ce que je peux dire, c’est qu’a priori on avait tous des stratégies de financement différentes. Je crois que le film de Zahzah est sur une autre approche qui est tout autant importante. Sans me lancer dans une analyse des deux films, chacun a pris aussi des libertés sur des choses, et je trouve ça très bien d’avoir des nuances du récit. Ce qui est intéressant, c’est surtout d’avoir d’avoir un projet cinématographique, d’avoir cette pluralité de récits et de visions d’un personnage, parce que c’est ça qui le fait vivre. Ce n’est pas le fait de figer une figure dans une posture et de la sceller et d’en devenir le gardien, comme si cette posture, ce n’est pas figé. Le regard antillais est donc forcément différent du regard d’un Algérien, ou du regard d’un Français vivant dans l’Hexagone. C’est ça, la magie du cinéma aussi.
Avez-vous voulu faire un film politique? décolonial ?
Intrinsèquement, on ne brandit pas un flambeau en disant que le film s’inscrit dans une démarche décoloniale. Le rôle du cinéma est important dans la mesure où les images forgent les imaginaires. Mon expérience personnelle m’a dit que ce que tu vois à la télé, ce n’est pas ta vie du quotidien. C’est dur de l’apprendre sur le terrain, et de ne pas y être préparé, mais c’est là où je trouve que ça donne du sens à mon métier. J’ai choisi d’essayer de porter des récits qui me semblent venir amener des contrepoints ou des contrepoids à l’histoire qui nous a été racontée à sens unique. Je pense que le cinéma est important et absolument nécessaire pour aider à décoloniser les esprits.
C’est le cinéma d’où l’on vient, je trouve que c’est un art fantastique parce qu’il permet à des personnes qui ne se seraient peut-être croisées nulle part ailleurs de se retrouver dans une salle, enfermées dans le noir, à regarder un film et à vivre les mêmes émotions, au même moment.