Et si on rentrait au bled en train ? », entre souvenirs et transmission, un guide-récit pour voyager autrement de la journaliste et autrice Nassira El Moaddem.
Les retours estivaux au bled approchent. Ils font partis des rites traditionnels pour les familles en exil …, qu’est ce qui vous a tenté dans la proposition du retour au bled en train?
Je suis une passionnée et une habituée du train. En 2022, après la crise sanitaire et la réouverture des frontières, les prix de l’avion, que nous prenions pour aller au Maroc tous les étés, étaient très élevés. Je me suis alors dit : »et si on tentait le train pour rentrer au bled ? » C’est ce qu’on a fait et depuis 2022, on rentre chaque été en train en famille, mon mari et nos trois enfants.
Quels sont vos souvenirs de ces grands retours estivaux vers le Maroc ?
Ils sont empreints de beaucoup de nostalgie même si je me souviens que ce n’était pas une partie de plaisir. Mais comme souvent, on ne retient que le meilleur. J’en garde les plats qu’on préparait la veille avec ma mère pour les repas qu’on mangerait sur la route, la préparation de la voiture notamment les nombreux bagages à caser, l’excitation d’avant départ avec mes frères et sœurs, la chaleur dans la voiture, les taureaux sur la route, les arrêts aux station services espagnoles pour se reposer un peu, l’arrivée au port tant attendue, le bien fou de la brise marine, l’horizon marocain à l’approche de Tanger et l’arrivée pleine d’émotion chez la famille Tellement ds souvenirs qui nous ont façonnés.
Ces parcours seront-ils encore possibles pour les prochaines générations nées en exil?
Je pense qu’ils ne s’arrêteront jamais. Peut-être que certains s’y rendront moins mais je suis persuadée que ces voyages continueront car ils sont une partie de nous-mêmes et que nous avons besoin de nous reconnecter à ce qui constitue une partie de nos identités. La question qui se pose désormais c’est de quelle manière nous y rendre alors que le réchauffement climatique n’a jamais été aussi présent de manière concrète dans nos vies. Voyager en train jusqu’au Maroc c’est aussi une manière d’y répondre.
Quels sont les enjeux actuels à renouveler les mobilités alternatives au voyage low cost pour les retours au bled ?
D’abord, je crois beaucoup a la valeur de l’exemple, au fait de montrer que c’est possible. Depuis 2022 et notre premier voyage au bled en train, beaucoup de personnes m’ont dit qu’elles n’avaient jamais pensé a ce mode de transport. Et moi non plus avant 2022. Ça m’a effleurée l’esprit mais sans plus. C’est dire à quel point nous sommes figés dans des habitudes. Pourtant, de nombreuses familles voyageaient déjà en train vers le bled quand nous, nous voyagions en voiture, même moi petite alors que je ne m’en souvenais plus ! J’en parle dans le livre. C’est aussi pour ça que j’ai voulu faire ce guide-récit, pour montrer par l’exemple que c’est possible même avec trois enfants, que certes ça demande de l’organisation mais que c’est faisable mais surtout que c’est un voyage qui permet de prendre son temps, de contempler les paysages, de se reconnecter à la nature, de réfléchir à l’impact du réchauffement climatique sur les territoires qu’on traverse.
Je pense qu’on doit accepter, quand c’est possible, de voyager autrement.
Faire un Paris-Marrakech à 50 euros en compagnie aérienne low cost, ça n’a pas de coût direct pour celui qui achète qui a l’impression de faire une bonne affaire mais ça a un coût environnemental et social collectif destructeur ici et au Maroc.
Nous devons affronter ce problème en face.
Prendre le temps ….. re découvrir le paysage, l’hospitalité, les conditions du voyage, décélérer…
Oui c’est l’avantage du train. Le temps ! Ce n’est pas une contrainte pour moi au contraire. C’est une forme de liberté ! Celle de me laisser porter dans le train, celle d’avoir le loisir de contempler, celle de pouvoir échanger avec mes enfants. Ce livre c’est aussi une question de transmission : transmettre les conséquences de l’activité humaine sur notre environnement, transmette notre histoire de l’immigration et faire en sorte qu’on se la réapproprie à notre manière.
Quelle est la réception du livre ?
Très bon pour l’instant. Il y a, je le sens, le besoin de ne plus se faire confisquer nos récits liés à l’immigration par l’extrême droite. Ce livre s’inscrit complètement dans cette démarche. Et de montrer que ces voyages ce sont surtout des moments heureux où nous nous reconnectons à qui nous sommes.
Présentation du livre en présence de l’autrice, à la Librairie l’île aux mots le 16 mai à 18h30.
Rencontre proposée par Ancrages et Quai du Maroc.