Diasporik. Le groupe Zebda, formé en 1985 à Toulouse par Magyd Cherfi et les frères Mouss et Hakim Amokrane s’est toujours engagé pour les quartiers populaires. Quelle vision avez-vous de la France d’aujourd’hui?

Mouss. Au regard de l’histoire du groupe qui se situe au croisement des mémoires familiales, populaire et migratoire, je suis optimiste. Notre groupe s’est fait connaître du grand public par ses chansons mais également par son engagement politique. Nous avons grandi dans une France où les stars de la chanson étaient principalement « blanches », aujourd’hui la France multiculturelle a avancé. Mais notre pays est ambivalent, et souffre d’un grand déficit démocratique. Macron est passé maître dans la dépossession démocratique, à l’occasion des dernières législatives.

Comment cette ambivalence se traduit-elle dans vos chansons ?
Nous avons l’âge de nos combats…Nous sommes des passeurs de mémoires et nos chansons sont là pour témoigner désormais pour nos enfants. Nos combats ont porté cette idée de la créolisation, le processus qui désigne l’émergence d’une nouvelle culture au contact des autres. Notre engagement militant et artistique a accompagné le mouvement de créolisation car pour nous, il n’a jamais été question d’intégration. Contre le racisme, le rejet, il n’y a pas d’arrangement !

Vous serez présents à la fête offensive, quel est votre lien avec les Bouches-du-Rhône et Marseille ?
C’est la famille ! La Méditerranée et les pays d’Oc ! Marseille et Toulouse sont de grandes villes ancrées dans un terroir qui se distingue, une autochtonie ouverte sur le monde et les terroirs méditerranéens. En tant qu’enfants d’Algériens, nés à Toulouse, nous partageons l’amour du Midi avec le sentiment d’être autant du pays d’Oc que du quartier. Nous avons eu la chance d’être imprégnés de cette culture régionale et c’est ce qui nous rattache à Marseille. L’histoire de la Méditerranée, ce sont toutes ces mosaïques régionales, occitanes, amazighes, avant la dimension nationale. Dès les années 1990, on s’est retrouvés entre amis du Sud-Est et Sud-Ouest, avec la culture méditerranéenne et occitane comme un socle commun très puissant, à travers les nombreux festivals. Bercés par la vision occitane dans notre approche de l’histoire de France, notamment grâce à certains de nos enseignants qui nous ont transmis l’histoire régionale autant que nationale. Avec nos parents, c’est l’histoire coloniale qui nous rattrape…

Précisément, vous avez réalisé un album hommage à vos parents et vos origines avec Origines contrôlées. Quelle a été sa réception par vos publics ?
C’est un album qui fait écho à nos histoires migratoires et hommage aux chansons de l’exil, partagées au sein de nos familles… Après le succès de Zebda et de Motivés, on a souhaité rendre hommage aux chansons entendues à la maison, issues de l’exil de nos familles. On a la chance d’avoir des parents qui sont de vrais mélomanes et qui nous accompagnent dans la prononciation en kabyle ou en arabe. Pour l’orchestration on s’appuie sur d’excellents instrumentistes qui facilitent une interprétation adaptée.Que ce soient Dahmane El Harrachi ou Slimane Azem, ces artistes ont agi comme des médicaments et ont permis à plusieurs générations d’immigrés de supporter l’exil. La poésie des textes accompagne ces parcours cabossés, faits d’incertitudes, d’éloignement, parfois de violences et de rejet.  Mon père me disait qu’ils l’ont aidé à supporter la dureté de la vie, le déplacement, et à devenir meilleur pour les siens. 

Les Darons de la Garonne est un album qui illustre votre ancrage régional de binationaux. Comment valorisez-vous ce message dans cet album? 
C’est avant tout un hommage au territoire d’enfance. Des montagnes kabyles au quartier des Minimes, qui est aussi celui de Claude Nougaro, nous sommes chez nous !
La rencontre avec Claude Nougaro était un grand moment, il nous a écrit un texte intitulé « bottes de banlieue ». Après sa disparition, sa famille nous a confié des textes inédits, un legs important qui rend hommage aux anciens. Une occasion de se définir ensemble. Le premier texte est intitulé « le lait caillé » elben en arabe, ikîl en amazigh. C’est un point commun essentiel, une tradition locale et transnationale que nous partageons. Ma mère a poursuivi la tradition du lait caillé. La musicalité de cette chanson est celle d’une chanson kabyle, en rythme 6/8 comme dans les fêtes traditionnelles. Nous savons bien qui nous sommes, citoyens français amazighes du pays d’Oc, et de Méditerranée!

ENTRETIEN REALISE PAR SAMIA CHABANI