« Être le descendant de rescapés, c’est porter l’inquiétante étrangeté de celui qu’on a programmé pour mourir. »
Éric Semerdjian, auteur, essayiste et élu marseillais en charge de l’innovation sociale et de la coproduction de l’action publique, est petit-fils de réfugiés ayant fui le génocide des Arméniens de 1915. Dans Mémoire de la douceur qui vient (L’Harmattan, 2010), il explore les séquelles transgénérationnelles du génocide à travers une écriture mêlant l’intime et le politique. En retraçant l’histoire de quatre générations à travers des objets du quotidien – une bague, un cartable, un enterrement – il interroge la transmission du trauma et les mécanismes silencieux de la mémoire collective.
« Mon livre s’adressait à mes enfants, mais aussi à mon père, dont le parcours d’intégration avait été obéré. Le poids de l’exil, le trauma transgénérationnel, ou les difficultés sociales liées à l’immigration sont autant d’obstacles à la transmission. L’écriture permet de retrouver une parole face au silence génocidaire, de refermer des tombes sans corps. »
Ce silence, Éric Semerdjian le nomme « irradiation fondatrice ». Il traverse les corps, les relations à la vie, la mort, la filiation. L’absence de reconnaissance officielle du génocide par l’État turc prolonge une violence symbolique qui empêche le deuil et entrave la réconciliation.
En 2015, pour le centenaire, il publie L’Envers du chemin, texte accompagnant une exposition photographique réalisée avec Stéphane Dumont et présentée au Site-Mémorial du Camp des Milles. Ce travail d’anamnèse retrace l’itinéraire de sa grand-mère à travers les lieux du génocide où toute trace du drame a été effacée. La remontée depuis la frontière Irako-syrienne, point d’aboutissement de la lente hémorragie des corps, qui le conduit à partir depuis Diyarbakir à Mardin, Derik, Ergani ,Cermik, Cungus, Yenykov, Erganih, Maden, Izilpete, Surek,Elazig Harput, Tatvan, Sassoun, Bitlis, Lice.Mus, Il s’inscrit dans la continuité du travail de Jean Garbis Artin (1930–2012), fondateur de l’ARAM à Marseille, dont les archives nourrissent également cette démarche mémorielle.
« Sur la route du génocide, aucun monument, aucune stèle, aucun cimetière. Tout est anonymé. »
Ce travail résonne avec la pensée du juriste Raphaël Lemkin, qui forge le terme « génocide » en 1944, en référence explicite au sort des Arméniens. Pour Éric Semerdjian, cet héritage le relie à toutes les luttes contre les discriminations et les oppressions contemporaines.
« Être le descendant de rescapés, c’est porter l’inquiétante étrangeté de celui qu’on a programmé pour mourir. »
À l’occasion du 110e anniversaire, il participera aux commémorations du 24 avril, organisées par le CCAF Sud sous le slogan « 1915-2025 : 110 ans, toujours présents ! », et accompagnera le maire de Marseille en Arménie, lors du jumelage avec Erevan du 1er au 7 mai 2025. Pour lui, cette mémoire ne relève ni de la concurrence, ni du repli victimaire :
« Le génocide arménien n’a de sens que s’il constitue une adresse à l’ensemble du monde. L’enjeu est de sortir du face-à-face pathogène entre bourreaux et victimes, et de construire des formes de solidarité. »
À l’heure où resurgissent des discours exterminateurs, Éric Semerdjian rappelle l’importante vigilance. Affamer délibérément des civils ou attaquer des populations constitue un crime contre l’humanité. Comme le stipule l’article 2 de la Convention de 1948, le génocide vise l’anéantissement total ou partiel d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. En évoquant la mémoire du génocide arménien, Éric Semerdjian ne se contente pas de regarder en arrière : il inscrit cette histoire dans les luttes d’aujourd’hui. À l’heure où les discours de haine et les violences de masse réapparaissent, cette parole héritée prend toute sa puissance : elle appelle à la vigilance, à la solidarité, et à la construction d’un futur commun, affranchi des répétitions de l’histoire.
À Marseille, les commémorations du 110ᵉ anniversaire du génocide arménien se dérouleront le jeudi 24 avril 2025. Le Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF) invite les citoyens à se réunir à 10h30 au Mémorial du génocide des Arméniens, situé avenue du 24 avril 1915 dans le 12ᵉ arrondissement de Marseille.
