Créée en 2000, l’association Aflam a pour objectif de faire découvrir les cinématographies arabes. Dès la première édition à Marseille, son Festival du film arabe a inauguré le partenariat avec l’Institut du monde arabe à Paris, qui y a immédiatement trouvé l’opportunité d’assurer le relais de sa Biennale des cinémas arabes. Depuis, leur objectif commun est de favoriser la réappropriation d’une histoire du cinéma souvent peu connue par les spectateurs, toutes générations confondues et originaires de différents pays arabes. L’accueil de réalisateurs et acteurs du monde arabe et méditerranéens contribue à développer les débats autour des projections et souvent à changer de regard sur les sociétés civiles des deux rives.
Porter les aspirations démocratiques
Avec ses différents programmes, le festival Aflam, Les Écrans, WarshatAflam, résidences d’écriture de scénarios et la Plateforme Internationale, l’association a développé une véritable expertise et contribué à rendre visible le « réveil » des sociétés civiles du monde arabe.
La soif de démocratie des peuples arabes interpelle les pouvoirs en place depuis les indépendances. Mais 2010 a marqué une année charnière durant laquelle les récits nationaux et nationalistes, ces « rentes mémorielles » comme certains les dénomment, se sont fendus, laissant apparaître la confiscation des révolutions populaires qui avaient menées aux indépendances. Spoliations, autoritarisme et usurpation des luttes qui portaient l’espoir de la démocratie et du développement sont à l’œuvre et se sont enracinés : la multiplication des conflits hérités de la colonisation conjuguée à la reprise en main par des gouvernements autoritaires, livre les peuples arabes à l’exil, la misère et la répression.
Dans ce contexte de tensions géopolitiques et de contestations populaires, les initiatives d’Aflam constituent un enjeu majeur : il s’agit de porter ces aspirations jusqu’à nous, en les inscrivant dans une programmation articulant diffusions, rencontres et édition : les cahiers d’Aflam prolongent les connaissances et remettent en contexte la ligne éditoriale du festival.
Résistance et Palestine
Pour cette onzième édition, le festival présente une quarantaine de films dont le fil rouge croise la mémoire des luttes et des lieux. 25 films produits en 2022 et 2023, certains primés, d’autres inédits ou en avant-première, ouvrent une fenêtre sur la création cinématographique d’une région sans cesse tourmentée, mais d’une créativité toujours foisonnante. Parmi les films récents de la sélection de cette 11e édition, plusieurs font apparaître la volonté d’émancipation et la poursuite des luttes des jeunes générations pour gagner une liberté que continuent à leur refuser des régimes politiques autoritaires. Au Liban, en Irak ou en Syrie, ces films mettent en lumière le courage d’une jeunesse qui veut choisir sa vie, mais qui n’hésite pas à risquer la sienne, dans le combat de rue ou en organisant les secours face à des États incapables de protéger leurs citoyens.
Comme le souligne Solange Poulet, fondatrice et vice-présidente d’Aflam, « la rétrospective intitulée La Palestine des cinéastes : des images pour exister aurait pu s’intituler pour Résister »,au regard ducontexte dramatique que connaissent les Palestiniens en l’absence du cessez-le-feu et de l’incapacité de la communauté internationale de protéger les populations du risque de génocide en cours. Un hommage aux cinéastes qui, depuis des décennies, dénoncent dans leurs films l’injustice d’une situation coloniale insoutenable.
La focale se resserre sur l’après Oslo, l’échec du processus de paix et l’impossible retour en Palestine de millions de réfugiés, avec deux classiques du cinéma palestinien : Conte des trois diamants de Michel Khleifi (1994), tourné à Gaza et dont les images sont aujourd’hui comme les archives d’un territoire effacé de la carte ; Intervention divine d’Elia Suleiman (2002), qui met en scène avec l’humour corrosif qu’on lui connaît, la difficulté d’exister, d’être Palestinien.
Le festival revient aussi en force avec du « cinéma de genre » ou des séances dédiées aux archives du cinéma, avec Nabil Djedouani, archiviste et programmateur autour du cycle Vives archives !
Aflam propose aussi deux concerts et DJ sets (Kader Denednia, Mehtoze) les 13 et 17 avril au restaurant Asabiya, une séance participative avec les élèves arabisants du collège Marseilleveyre, un atelier d’écriture guidé par l’éditrice Mathilde Chèvre, des rencontres avec les cinéastes et les étudiants de la classe préparatoire cinéma de Marseilleveyre, aux côtés de Salima Tenfiche, chercheure en cinéma et Jacopo Di Falco, réalisateur.
Pas de prophète en ce pays
Malgré ce passé, cette programmation, cette pertinence, Aflam est en danger de disparaître faute de financements. Pourtant, Marseille et sa région ont su développer une filière professionnelle constituée de techniciens habitués aux tournages d’envergure internationale, de prestataires de services techniques expérimentés et bien équipés. Il apparaît évident qu’Aflam constitue un autre moyen de valoriser l’intérêt porté aux cinémas et à ses promoteurs dans notre région, et une passerelle de ces cinémas vers l’Europe.
L’ancrage méditerranéen de notre territoire, si souvent évoqué pour soutenir toute candidature lors des manifestations internationales, devrait amener les collectivités à assurer la pérennité d’un acteur associatif, expert de son champ et ayant fait ses preuves depuis plus de deux décennies, par l’auditoire et les partenaires qu’il mobilise. La situation financière de l’association exige cet intérêt accru des collectivités territoriales, mais aussi du ministère de la Culture, qui a publié récemment un guide des financements pour développer la mobilité culturelle dans la région sud de la Méditerranée.