Interview d’Anissa Bouayed, historienne et chercheure associée, laboratoire CESSMA, université de Paris, à l’occasion du dépôt des œuvres de Baya au musée Cantini

Dans le sillon du succès historique de l’exposition, Baya, une héroïne algérienne de l’art moderne

la ville de Marseille accueille une suite heureuse autour des œuvres de l’artiste.

Interview d’Anissa Bouayed, historienne et commissaire indépendante autour des œuvres de Baya, à la suite du dépôt des œuvres de la grande artiste algérienne. Une  cérémonie officielle est prévue le 24 février 2025. Des œuvres visibles depuis le 11 février au Musée.

SC : Quel est le contexte du dépôt d’une cinquantaine d’œuvres, de sculptures, de dessins, de gouaches de Baya cette semaine au musée Cantini ?

L’important dépôt d’œuvres de Baya au Musée Cantini n’a pu se réaliser que grâce à la confiance instaurée à partir de l’exposition entre les musées de Marseille et la personne déposante – qui souhaite par modestie garder l’anonymat- qui avait déjà contribué par des prêts importants au succès de l’exposition, en particulier en nous confiant alors des sculptures. Ce contexte favorable est le fruit de liens tissés alors, du soin apporté par le commissariat à mieux documenter l’œuvre sculptée de Baya qui souffrait jusqu’à présent d’une sorte de double peine : faible visibilité dans les expositions et quasi absence d’analyse comme si seule la peinture comptait laissant la céramique en situation subsidiaire. De ce point de vue l’exposition de Marseille avait consacré deux salles aux sculptures de Baya, l’une autour de Baya à Vallauris, l’autre autour de la réflexion suivante : peinture et sculptures sont-elles deux polarités de l’œuvre de Baya ou bien faut-il associer, comparer les deux pratiques artistiques comme deux faces complémentaires de sa création, se nourrissant l’une l’autre ? Tout nous porte à refuser les dissociations artificielles ou idéologiques opposant un art majeur à un autre considéré comme mineur car trop proche de l’artisanat ou des arts populaires.

Dans un esprit de réhabilitation de cette part délaissée, les musées de Marseille avaient contribué à la restauration de sculptures qui avaient appartenu à la mère adoptive de Baya mais qui n’avaient jamais été remontrées depuis l’exposition de 1947 ou depuis leur réalisation à Vallauris en 1948 car elles avaient été abîmées au cours du temps. Il s’agit effectivement de pièces particulièrement fragiles. Un travail de restauration curative leur a redonné leur superbe et un travail scientifique patient a permis de les associer formellement ou thématiquement aux gouaches de Baya réalisées à la même période. Augmentée de peintures de différentes périodes, dont certaines parmi les premiers grands formats de Baya bien antérieurs à l’exposition de 1947,  ce dépôt de sculptures restaurées offre un panorama significatif de la création de Baya et de l’importance qu’elle accorde au travail de la terre, son art premier pourrait-on dire qui la connecte par le geste à la culture arabo-berbère dont elle se réclamait.

Ce dépôt est un véritable événement et place le musée Cantini, déjà dépositaire de trois grands formats remarquables des années 1970, dans une position forte, du point de vue d’éventuelles recherches qui pourraient se développer à partir de ce corpus. La monstration actuelle d’une partie de ce dépôt et des œuvres emblématiques de Baya déjà présentes au musée Cantini depuis les années 1980, ouverte au public depuis le 11 février, dans les salons du musée, donne un aperçu de ce riche dépôt et établit d’ores et déjà, grâce à la mise en espace judicieuse réalisée par la conservatrice Louise Maldinier, des correspondances fécondes entre sculptures et peintures, attestant aussi de la dimension symbiotique du travail de Baya.

SC : Depuis l’exposition, l’Orient des provençaux de 1982, y a-t-il eu un changement de paradigme dans le lien entre Marseille et les artistes algériens ?

De mon point de vue, ce nouveau contexte n’est pas seulement dans la continuité de l’exposition Baya qui eut lieu à Cantini en 1982-1983 au cours de la saison intitulée « l’Orient des Provençaux », terminologie qui nous interpelle aujourd’hui pour son caractère exotisant. La période écoulée depuis, plus de 40 ans après la première initiative, montre s’il en était besoin, que cette belle exposition d’alors n’a pas été la condition suffisante pour faire bouger les lignes, par exemple en faisant entrer d’autres œuvres d’autres artistes algériens ou plus largement maghrébins dans les collections marseillaises. Ces artistes y sont toujours sous-représentés par rapport à l’ouverture sur l’autre rive de la Méditerranée qui fait l’identité de Marseille. La vie culturelle est aussi redevable du politique et des pesanteurs idéologiques qui, concernant les relations à l’Algérie, sont restées importantes. En tant que chercheuse attentive aux faits culturels, il me semble toutefois que les prémices de changements de paradigme sont déjà à l’œuvre avec certaines réalisations héritées de Marseille Provence 2013, l’émulation avec le Mucem, les nombreuses résidences d’artistes du Maghreb grâce à des dispositifs dédiés, et dernièrement les moyens matériels et scientifiques mis en œuvre pour réussir l’exposition Baya. Cette nouvelle dynamique est sans doute aussi le fruit de l’action d’une nouvelle génération de conservateur-es du patrimoine qui souhaitent inscrire l’art moderne et contemporain dans des expressions plurielles loin de toutes hiérarchie européocentrée.

2022-2023, l’Institut du monde arabe à Paris et les musées de la Ville de Marseille s’associent pour présenter l’itinérance d’une exposition sur l’artiste algérienne Baya. L’exposition intitulée Baya, femmes en leur jardin à Paris, se déploie à Marseille sous le titre Baya, une héroïne algérienne de l’art moderne, https://musees.marseille.fr/baya-une-heroine-algerienne-de-lart-moderne du 13 mai au mois de novembre 2023. En complément du fonds d’archives privées des archives nationales d’Outre-Mer, sur lequel l’historienne Anissa Bouayed, commissaire de l’exposition avec Nicolas Misery, elle  a permis également de nouer des relations privilégiés avec des prêteurs publics et privés. Ces documents permettent à la fois de garantir l’authenticité des œuvres présentées et d’étoffer le parcours chrono-thématique.