Lun des cold cases les plus marquants de la Vème république
A l’approche du 60ème anniversaire de la disparition de Mehdi Ben Barka, le livre “Ben Barka, la disparition” publié par les éditions Futuropolis, explore l’un des cold cases les plus marquants de la 5ème République. Le récit est signé par David Servenay et illustré par Jacques Raynal.
L’album aux airs de polar revient sur l’enquête de la disparition de Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi du Maroc, devant la Brasserie Lipp à Paris, le 29 octobre 1965.
Le leader indépendantiste a rendez-vous avec trois personnes, Philippe Bernier, journaliste, Georges Franju, cinéaste, et Georges Figon, producteur pour finaliser la production d’un film sur les luttes anticoloniales, écrit par Marguerite Duras, réalisé par Franju et produit par Figon. C’est à cette occasion que Ben Barka est interpellé, sur le trottoir, par deux hommes qui se présentent comme des policierset qui l’embarquent dans une Peugeot 403, direction Fontenay-le-Vicomte, en région parisienne. On ne le reverra jamais plus… Dès le début, maître Maurice Buttin, avocat de la famille Ben Barka, comprend que l’enquête sur la disparition de l’opposant marocain va être très compliquée. C’est le moins qu’on puisse dire… Une enquête fouillée et passionnante de David Servenay, journaliste au long cours, avec qui nous revenons sur l’affaire. David Servenay, est journaliste. Après avoir travaillé à RFI, Rue89, OWNI.fr et La Revue dessinée, il est aujourd’hui indépendant. Il a publié au Seuil et à La Découverte plusieurs livres d’enquête sur le Parti socialiste dans le Nord-Pas-de-Calais, sur le génocide des Tutsi au Rwanda et sur l’histoire du patronat français. Il a aussi scénarisé Une affaire d’État, album dessiné par Thierry Martin (Soleil, 2017).
En tant que journaliste d’investigation et essayiste, vous êtes coutumier des dossiers chauds et des relations franco-africaines, qu’est ce qui a attiré votre attention sur l’affaire Ben Barka?
Effectivement, j’ai été journaliste pendant 25 ans à RFI et couvert différentes affaires de corruption ainsi que des affaires plus franco françaises de corruption, telles que l’affaire Balkany ou celle du patronat qui revient sur les étapes plus secrètes de l’économie française, avec celle des hommes qui ont réellement fait le capitalisme français de l’après-guerre. L’affaire Ben Barka est une vieille affaire sur laquelle j’ai été sollicité par le fils Mehdi Ben Barka qui avait 15 ans quand son père est mort. Il se bat depuis des années pour connaître les angles morts de cette affaire qui aboutit à l’assassinat de son père. Cette affaire est l’un des Cold case de la 5e république, à la fois, complexe et foisonnante, elle reste néanmoins une des affaires judiciaires criminelles, non élucidées et faisant l’objet d’un classement sans suite. Evidemment pour Bachir, son père est un héros, surnommé le Jean-Jaurès marocain, c’est une figure à la fois emblématique et controversée. Homme politique, radical, progressiste de gauche, manœuvrier et impliqué dans la branche armée de l’Istiqlal.
Le livre dessiné permet de revenir sur l’affaire en rendant accessible les éléments de l’enquête qui restent à révéler, avec la force du dessin noir et blanc de Jacques Raynal. On ne sait pas précisément comment Mehdi Ben Barka a été tué et par qui et on n’a jamais retrouvé son corps. Ses idées ont été inspirantes pour la jeunesse marocaine. Issu de la Gauche révolutionnaire, il prône la réforme agraire, la révolution sociale pour instaurer des idées telles que l’abolition du capitalisme, la lutte contre la pauvreté, … Des perspectives qui apparaissent comme incompatible avec le règne de Hassan 2, alors même que Ben Barka surnommé monsieur Dynamo, était proche du roi Mohamed 5 sur l’idée d’une monarchie à l’anglaise avec un roi qui règne mais ne gouverne pas. Il était depuis son exil, proche des grandes figures panafricaines œuvrant en faveur de la solidarité internationale. A Alger, il rencontre Che Guevara, Amílcar Cabral et Malcolm X, tentant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la Conférence tricontinentale devant se tenir en janvier 1966 à La Havane.
Quel a été le rôle des services secrets occidentaux et en particulier français ?
Les service secrets occidentaux l’avaient catalogué comme révolutionnaire indépendantiste. Il a d’ailleurs fait deux ans de prison pendant la guerre 2nd guerre mondiale car il était signataire du manifeste de l’Istiklal, en faveur de l’indépendance en 1945 et a été poursuivi par la puissance coloniale. Disons que beaucoup de de gens avaient intérêt à le voir disparaître et qu’il est condamné à mort par contumace au Maroc au moment de son enlèvement mais le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) est directement impliqué dans l’affaire et en lien avec le général Oufkir. Aucun président français n’a évoqué cette affaire depuis le général DeGaulle qui évoquait une affaire bizarre dont il est sûr, c’est qu’il faudra établir la vérité et en tirer toutes les conséquences… C’est pourtant une opération commanditée au plus haut de l’Etat. Le rapprochement récent entre la France et le Maroc n’a pas permis de réouvrir le dossier. Pour l’historien René Galissot, c’est dans cet élan révolutionnaire de la Tricontinentale que se trouve la cause profonde de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka.
Quelle était votre intention en valorisant le récit de cette disparition sous forme de bande dessinée et en vous associant à Jacques Raynal?
Le livre dessiné se prête très bien à cette affaire qui est un véritable polar. L’enjeu de nos collaborations et de transmettre le récit sur des enquêtes complexes, documentées par une recherche didactique sans simplifier le fond comprenant des éléments complexes, notamment en levant les écrans fumés présents dans le traitement médiatique. Faute d’accès aux archives, toujours classées défense, certains éléments circulant sur les conditions de la disparition de Ben Barka ont donné lieu à toute sorte d’hypothèses.
Nous sommes restés sur les faits avérés en mettant à distance les interprétations fallacieuses. On s’approche du 60e anniversaire de l’affaire et on peut regretter que l’instance de réconciliation mise en œuvre avec l’accès au trône du roi Mohamed 6 n’est pas permis d’ouvrir les archives des services secrets. Pour rappel, depuis le 29 octobre 1965, la disparition de Mehdi Ben Barka donne lieu à différents rassemblements pour éclairer les conditions de cet enlèvement, devant la brasserie Lipp à Paris.