Interview avec Hélène Lioult, réalisatrice et productrice de films documentaires, co-gérante d’Airelles Production.
Le piano des deux rives est un documentaire qui croise votre histoire familiale, migratoire et l’histoire coloniale, comment avez-vous construit votre récit?
L’intention première est apparue à l’occasion de la rencontre avec Philippe Courreye, le restaurateur qui a trouvé dans le piano un journal d’Algérie daté du jour de sa naissance, le 1956. J’ai donc travaillé à articuler l’histoire du piano, – ce que je pouvais en retrouver , les archives, les souvenirs et les suppositions – et le déroulement de la restauration. Articuler l’histoire du piano et la famille avec la grande histoire, celle de la France et de l’Algérie dans ces périodes douloureuses, tout en m’appuyant sur des témoignages. J’ai privilégié les relations humaines, le ton de la conversation plutôt que l’entretien frontal. J’ai longuement cherché les musiciens et j’ai eu la chance de trouver George Lepauw et Amine Soufari, pianiste et chef de chœur dont les musiques se croisent…
Le piano est une fabrication de la Maison Gavot, dans quel contexte est-il expédié à Oran et comment devient-il le piano d’étude de votre sœur Anne-Marie Camps?
Le piano est expédié par Gaveau en Algérie comme beaucoup d’autres à la maison Willems en 1912. Ce n’est qu’en 1965 qu’il arrive dans ma famille à Alger. Mais les marques sur le piano donnent des dates dès 1946. Je fais donc des hypothèses à découvrir dans le film.
À l’occasion de la restauration du piano, confiée à Philippe, vous donnez à voir l’histoire économique et le passage de la fabrique à l’industrialisation puis du déclin de cette production, située à Fontenay sous-bois, comment avez-vous documenté ce récit ?
Les archives de la Ville de Fontenay sous-bois sont détentrices du Fonds Gaveau. L’archiviste Isabelle Bonnefoi a été intéressée par le projet du film et a donné beaucoup de détails sur l’histoire de la fabrique, la vie des ouvriers, son évolution et la disparition progressive des marques françaises à cause de la concurrence asiatique et américaine.
La restauration des notes a permis de découvrir un article du journal d’Alger du 19 juillet 1956, qu’évoque la une du quotidien ? À votre avis, comment s’est-il retrouvé là?
Le journal d’Alger du 19 juillet 1956 fait sa une sur la « décapitation » du milieu musulman, Hamid Bousmah, cinéaste témoigne dans le film et analyse en finesse cette propagande qui parle de « milieu musulman » et dont les militants sont assimilés à des voyous. Il dit plus tard qu’elle annonce les exécutions capitales des militants algériens qui interviendront par la suite.
Il n’y a aucune raison technique à la présence de ce journal dans le clavier d’après Philippe Courreye le restaurateur. Le piano garde son secret. Hamid Bousmah apporte sa compétence historique, et la force de son témoignage personnel, il a accepté de faire quelques images en Algérie pour le film. C’était une belle rencontre avec Amine Soufari qui transporte son public chaque fois qu’il joue. Il s’est retrouvé dans ce projet lui-même cherchant des croisements culturels et musicaux.
Qui joue du piano dans l’Algérie française des années 1930? Existe-t-il un enseignement accessible aux indigènes ?
Des classes de musiques arabes ont été créées au conservatoire d’Alger dès les années 1920 mais le nombre d’étudiants algériens était très faible. Les associations de musique arabo-andalouses très présentes sur l’ensemble du territoire ont introduit peu à peu le piano dans les orchestres. À partir des années 1920 un vaste mouvement associatif musical indigène, juif et musulman, émerge en Algérie. Ce mouvement, sur le modèle de la première société, El Moutribia (1912), va se consacrer à la diffusion d’un genre que l’on appelle communément « la musique andalouse ». Aujourd’hui les claviers sont plus fréquents que les pianos et présentent l’avantage de pouvoir être facilement réglés pour le quart de ton. L’introduction progressive du piano a impacté les musiques algériennes et l’évolution des styles musicaux du pays, dans différents répertoires, tels que le chaâbi, le malouf, la musique andalouse, le raï.
Comment se sont déroulées les deux avant-premières à Aix et …?
Les avant-premières ont eu beaucoup de succès avec 80 personnes à Aix et 60 dans le 04, à Bras d’Asse petite commune rurale. Dans les deux cas beaucoup de réactions très positives et d’émotions partagées.
Comment envisagez-vous la diffusion du film et comment vous contacter ?
J’ai de nombreuses propositions de diffusion dans des cinémas ou des associations culturelles dans les Bouches du Rhône, les Alpes, le Var, et aussi en Corrèze et en Dordogne, ainsi qu’à Paris. J’inscris le film dans les nombreux festivals du documentaire, en France, en Europe et dans le monde. Il vient d’être sélectionné dans un festival au Bénin début mai. il va avoir un sous-titrage anglais disponible.
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