3. Lutter contre le racisme, devenir citoyen français

Se découvrir « étranger »

Se découvrir « étranger » veut souvent dire subir au quotidien le racisme et la discrimination, mais aussi les crimes racistes.

Voici quatre témoignages d’anciens habitants de la cité Bassens à Marseille. Ils racontent leur vécu des discriminations, notamment dans l’accès à un logement décent ou l’accès à un emploi, des actes et crimes racistes commis parfois par des voisins ou par la police. Ils témoignent aussi des violences policières et des contrôles policiers quotidiens.

Contributions : Lutter contre le racisme, devenir citoyen français

  • Saïd BOUKENOUCHE, diplômé de la faculté de Lettres à Aix-en-Provence, a grandi dans la cité de Bassens. Il s’engage très vite dans la lutte contre les discriminations, le racisme et le mal logement des quartiers Nord de Marseille.
  • Hanifa TAGUELMINT, née Boudjellal, a grandi à la Busserine. Ce quartier connait deux crimes racistes à quelques mois d’intervalle en 1980 dont l’une des victimes est son jeune frère Zahir abattu par un voisin.
  • Saïd MERABTI quitte l’Algérie en 1962 avec sa famille et s’installe à Marseille. Il découvre la langue française sur les bancs de l’école et navigue entre les différentes communautés qui résident à la cité de Bassens.
  • AKEL AKIAN, né dans les plaines du Rif au Maroc, choisit l’exil à 18 ans. Figure du théâtre de l’immigration, il fonde le théâtre de la Mer, et puise dans l’anthologie de la littérature algérienne de langue française pour développer le théâtre professionnel de l’immigration.

Dossier ressources Brutalités et violences policières.

Crimes Racistes

À partir de 1973, à la suite de différents incidents racistes, Marseille est appréhendée sous l’angle de l’inquiétude et de l’incompréhension entre les communautés et comme la ville du conflit ethnique au sein de l’espace national.

Le fait-divers tragique, déclencheur de la flambée raciste de 1973, intervint avec l’assassinat d’un traminot, Émile Guerlache par Salah Bougrine, travailleur immigré algérien qui blessa également cinq autres passagers, avant d’être arrêté par la police, alors qu’il était sur le point d’être lynché par la foule. Atteint de démence, cet Algérien n’avait pas de mobile.

Ce drame fut à l’origine d’une tension xénophobe qui provoqua en un mois environ, la mort d’une dizaine d’Algériens victimes d’un racisme à la fois ordinaire et post-colonial. Les noms des victimes sont connus, parmi elles : Ladj Lounes, adolescent de seize ans abattu froidement au quartier de la Calade par les occupants d’une voiture arrêtée à sa hauteur le 28 août 1973 ; Abdelwahab Hemamam, 21 ans, assassiné dans la nuit du 25 au 26 août sur le Quai Rive-Neuve ; Saïd Aounallah, tué le 27 août au boulevard Plombières par des tirs d’arme à feu.(1)

(1)Yvan Gastaut, Marseille, épicentre de la problématique du racisme en 1973


Le 4 décembre 2013, au café-théâtre Le Tabou chez Cid-Hamid à Marseille, une soirée politico-culturelle célébrait les 40 ans des « ratonnades » meurtrières dans le Midi et les 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

Violences policières

« Dérapage », « bavure », « dérive », « débordement » … La violence policière peut être déclinée sous une multitude d’expressions dans l’espace public. Néanmoins, en France, sur le plan juridique, il n’existe aucun chiffre officiel, aucune définition claire. 168 cas ont été recensés entre 2005 et 2015.

Les excès de zèle de la police touchent en particulier les jeunes et les quartiers défavorisés.

Parmi les 168 cas recensés, il y a eu 49 blessures légères et 54 morts. Mais beaucoup d’incidents dits légers ne sont pas recensés par les médias : le nombre de victimes est extrêmement sous-représenté. Difficile de recenser tous les types de violences.

Outre les coups, il y a les provocations et les humiliations. Être menotté et traîné dans la rue, puis avoir « le froc baissé » sans raison. Les insultes aussi sont fréquentes: « Ferme ta gueule », « enculé », « sale noir« . Ces insultes banalisées sont proférées régulièrement par les policiers dans les cités. En effet la moitié des cas de violences policières ont lieu en Ile-de-France, une sur cinq en Seine-Saint-Denis et plus de 5% dans les Bouches-du-Rhône.

La garde à vue à la française est une exception. Près de 2 200 personnes sont placées en garde à vue chaque jour dans l’Hexagone, selon la Documentation française. Dans la plupart des pays européens, le placement en garde à vue n’est possible que pour les infractions d’une certaine gravité.

En 2010, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a considéré que la garde à la vue à la française était une zone de non-droit. Elle a recommandé la présence obligatoire d’un avocat pendant toute la procédure, que le droit français a appliqué un plus tard.(1)

(1)Données extraites de Violences policières en France : les six infos qui frappent fort, Promo 69 and CFJ


Témoignage de Majid El Jarroudi, cousin de Lahouari Ben Mohamed, abattu à Marseille le 18 octobre 1980 par un policier lors d’un contrôle d’identité 

Contrôle au faciès

Les policiers sont réputés en France, à ce jour comme hier, agir de manière différenciée à l’égard des populations étrangères ou d’origine étrangère, qu’il s’agisse des modalités par lesquelles ils interviennent auprès d’elles (brutalités verbales ou physiques, traitement de la réception des plaintes, des sollicitations, des requêtes, etc.) ou des mesures opérationnelles que les policiers peuvent engager (conduite des enquêtes, ciblage des territoires ou des populations, etc.). Notamment, le « contrôle au faciès », autrement dit le contrôle d’identité ciblé sur les « minorités visibles », jouit d’une place de choix.

Jobard Fabien, Lévy René, « Les contrôles au faciès à Paris. », Plein droit 3/2009 (n° 82)

Collectif contre le Contrôle au Faciès

Au Printemps 2011 se forme le Collectif contre le Contrôle au Faciès. L’objectif est de mener des actions en justice inédites pour sensibiliser aux problématiques liées aux contrôles abusifs, et notamment, proposer une réforme de la loi encadrant les contrôles d’identité portée par le terrain, alliant justice, transparence et efficacité policière.

C’est la websérie Mon 1er contrôle d’identité, lancée en Novembre 2011, qui a fait connaître l’initiative au niveau national. Vous pouvez retrouvez l’ensemble des vidéos sur la chaine Youtube Stop le contrôle au faciès 

Le 31 mars 2016, Ancrages, en collaboration avec l’association Éclore, organisait une conférence débat sur le thème du contrôle au faciès dans le cadre du cycle de conférence l’Agora des mémoires. Cette rencontre répondait aux enjeux de sensibilisation à la lutte contre les discriminations, dans le cadre de la Semaine de l’éducation contre le racisme et de l’antisémitisme.

Appel à témoignage à destination des jeunes d’origine étrangère qui ont été discriminés pour accéder à un stage ou à un emploi.

Le Défenseur des droits lance un appel à témoignage à destination des jeunes d’origine étrangère qui ont été discriminés pour accéder à un stage ou à un emploi.

De quoi s’agit-il ?

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, le 21 mars, le Défenseur des droits lance un appel à témoignage à destination des jeunes d’origine étrangère qui ont été discriminés pour accéder à un stage ou à un emploi.

En effet, les personnes dont le nom ou la couleur de peau peuvent laisser supposer une origine étrangère rencontrent plus de difficultés que les autres pour accéder à l’emploi, et pourtant le Défenseur des droits constate qu’il est encore trop peu saisis par ce public.

L’appel à témoignage « Jeunes, origines et discriminations à l’embauche » prendra la forme d’un questionnaire en ligne d’une vingtaine de questions, accessible depuis la page d’accueil du site Internet du Défenseur des droits, pendant trois mois.

L’objectif de cette action est de recueillir des données illustrant les situations de discriminations rencontrées par ces jeunes mais également de leur faire connaître le recours que constitue le Défenseur des droits et les inviter à le saisir. L’analyse des situations qui lui seront exposées donnera lieu à un rapport, publié en fin d’année.

Nous sommes les uns et les autres confrontés à un ressenti de plus en plus fort, et pour autant peu de situations remontent, créant ainsi un manque de visibilité sur l’espace public, notamment dans notre région. Cet appel à témoignage peut nous permettre de mieux comprendre le phénomène mais aussi de pouvoir traiter de situations pour lesquelles le silence n’est pas la seule réponse.

Comment pouvez-vous relayer l’appel à témoignage ?

La communication se fait principalement via le site du Défenseur Des Droits et les réseaux sociaux.

Afin de vous fournir des outils permettant de relayer notre appel à témoignages auprès des jeunes d’origine étrangère, vous trouverez ci-dessous :

Le questionnaire de l’appel à témoignages.

Vous pouvez également créer un lien avec le nom spécifique de votre structure : appel-temoignage.defenseurdesdroits.fr/ATJOE?s=NOMDUPARTENAIREOUDUCONTACTSANSESPACE

  • Un kit de communication comprenant :
    • Un texte d’article
    • Une affiche A4 (imprimable)
    • Une bannière web deux formats
    • Un kit pour les réseaux sociaux (tweeter, facebook)

Cet appel à témoignage est disponible pendant trois mois à partir du 21 mars 2016.

 


Se découvrir « étranger »,

c’est être aussi être « étranger » dans le pays d’origine. C’est être à la fois d’ici et de là-bas, mais aussi être perçu « étranger » par ceux d’ici et par ceux de là-bas…

Devenir citoyen français

De nombreux migrants se sont installés durablement en France et un processus d’assimilation se met en place. Celle-ci traduit une certaine volonté de participer à la vie collective du pays d’accueil, voire d’acquérir par la naturalisation la citoyenneté à part entière.

Cependant, l’acquisition de la nationalité française n’est pas toujours souhaitée, surtout par les garçons qui ont alors l’obligation, jusqu’aux années 1990, du service militaire. Elle est aussi reportée à plus tard, pour ne pas couper les liens familiaux, car devenir Français peut être perçu comme une trahison pour ceux qui sont restés au pays. On éprouve aussi le besoin de conserver son identité, de rester fidèle à sa patrie. Et on est encore habité par l’espoir de revenir au pays.

Toutefois, quand la naturalisation est refusée pour soi, elle est très souvent désirée pour ses enfants. En effet, on mise sur l’enracinement de ces derniers qui, n’ayant pas connu – ou très peu – leur terre d’origine, ont toutes les chances de se fondre dans le pays d’accueil de leurs parents.

La Révolution française de 1789, en instituant la citoyenneté, établit une séparation juridique entre nationaux et non-nationaux.

Au cours du 19ème siècle, l’entrée sur le territoire français est soumise à une législation de plus en plus contraignante. Or, l’instabilité et la complexité des lois, décrets et instructions seront une entrave à sa mise en application.

Cependant, quelques étapes peuvent être retenues comme essentielles. Ainsi :

  • La loi du 3 décembre 1849, pour près d’un siècle, donne tout pouvoir au ministre de l’Intérieur en matière d’expulsion des étrangers du territoire national ;
  • Dans la seconde moitié du 19ème siècle la France manque de bras. En effet, son industrie se développe et l’immigration étrangère devient alors indispensable.
  • Le recensement de 1851 est le premier qui enregistre les étrangers résidant en France. Ils ne sont encore que 379 289 pour une population totale de 35,8 millions. Or, de plus en plus de migrants passent la frontière de l’Hexagone, grâce notamment à un nouveau moyen de transport : le chemin de fer.
  • En 1881, alors que la population étrangère dépasse le million, la France devient le deuxième pays d’immigration au monde après les États-Unis d’Amérique. Quant à la région Paca, limitrophe de l’Italie, elle est aussi une terre d’accueil, où l’évolution de la population immigrée suivra peu ou prou celle de la France.
  • La loi du 8 août 1893 confirme les termes du décret du 2 octobre 1888 relatifs à l’obligation de déclaration de résidence pour tout étranger arrivant dans une commune. Ccette loi institue la tenue dans chaque mairie d’un registre d’immatriculation des étrangers.
  • Deux décrets d’avril 1917 sont à l’origine de la carte d’identité à l’usage des étrangers de plus de 15 ans, ainsi que de la carte d’identité de « travailleur étranger ».
  • L’ordonnance du 2 novembre 1945 distingue résidents occasionnels, ordinaires et privilégiés et institue une « carte de résident privilégié » valable 10 ans.

Aujourd’hui, la citoyenneté française est liée à la détention de la nationalité française. Cette nationalité s’acquiert de plusieurs façons :

  • Par le « droit du sang » : est français tout enfant dont au moins l’un des deux parents est français.
  • Par le « droit du sol » : un enfant né en France d’un parent étranger lui-même né en France est français de naissance. Pour l’enfant né en France de parents étrangers nés à l’étranger, la nationalité française lui revient automatiquement et de plein droit à sa majorité s’il réside en France à cette date, et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans depuis l’âge de 11 ans.
  • Par la procédure de « naturalisation » : un étranger majeur, résidant habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans, peut demander à être naturalisé. La décision est prise de façon discrétionnaire par l’administration qui peut refuser la naturalisation même si les conditions sont réunies. La durée de résidence peut être réduite à deux ans si le demandeur a accompli avec succès deux années d’études dans un établissement d’enseignement supérieur français ou s’il a rendu, ou peut rendre, « des services importants à la France ». Dans tous les cas, depuis la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, il doit justifier de son « assimilation à la communauté française » lors d’un entretien individuel.
  • Par le mariage : depuis la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, un étranger uni à un conjoint français depuis quatre ans, et justifiant d’une communauté de vie affective et matérielle réelle, peut demander à acquérir la nationalité française par déclaration. Le délai est porté à cinq ans lorsque le demandeur ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins trois ans en France à compter du mariage ou, en cas de résidence à l’étranger, lorsque son conjoint français n’était pas inscrit au registre des Français établis hors de France.

 

 


 

 

2. Exil, partir vers l’ailleurs 4. S’enraciner, ou le temporaire qui dure