Nous publions ici une sélection d’articles triés par Pierre DAUM journaliste français, auteurs d’enquêtes sur le passé colonial de la France. Il a notamment publié en 2012 Ni valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie après l’Indépendance aux éditions Actes Sud.
© Gil
Une sélection de textes pour réfléchir
Les effroyables tueries à la rédaction de Charlie Hebdo (7 janvier), l’assassinat d’une policière à Montrouge (8 janvier), et l’attaque sanglante du supermarché juif de la Porte de Montreuil (9 janvier) exigent de nous, me semble-t-il, des efforts de réflexion renouvelés. Nous avons besoin de comprendre, mais nous devons aussi être disposés, je crois, à remettre en question certaines de nos certitudes.
Depuis dix jours, les idées se bousculent dans la bouche et sous la plume de centaines de commentateurs, en France et dans le monde.
Depuis ces dix jours, j’ai consacré une grande partie de mon temps à parcourir les journaux, le Net et quelques radios afin d’essayer d’y voir plus clair. J’ai découvert plusieurs textes qui m’ont extrêmement éclairé, même si je ne suis pas forcément d’accord à 100% avec certains d’entre eux.
Je me permets de vous faire partager cette sélection, organisée autour de quelques grandes questions.
En préliminaire
Je commence par ce texte fulgurant de Voltaire, écrit en 1764 pour dénoncer le fanatisme sanguinaire de certains catholiques :
Voltaire, article « Fanatisme », Dictionnaire philosophique portatif, 1764
J’ai été aussi particulièrement impressionné par la capacité de Régis Debray à balayer de façon très large un grand ensemble de questions posées par ces événements. On peut accéder à ses idées dans une très bonne interview publiée par le journal La Croix :
Ne remplaçons pas notre réflexion par l’émotion, par Régis Debray.
***********************
Voici maintenant ma sélection de textes, organisée autour de six grandes questions.
Question 1 : Quelles raisons ont poussé ces jeunes Français à commettre des crimes aussi effroyables ?
Chaque événement d’une telle ampleur est naturellement le résultat d’un faisceau complexe de raisons. Le journaliste algérien Akram Belkaïd, qui vit en France depuis les années 1990 où la terreur sévissait dans son pays, a publié dans Le Quotidien d’Oran du 15 janvier 2015 une chronique qui résume assez bien cet ensemble de raisons :
France : Et maintenant ?
On peut distinguer au moins trois grandes raisons :
– La relégation sociale de personnes issues des immigrations et/ou pauvres:
Farhad Khosrokhavar est sociologue à l’EHESS, auteur d’un livre sur la radicalisation de jeunes nés dans les quartiers relégués. Dans son texte publié le 10 janvier 2015 (et que j’ai vraiment trouvé génial), il écrit notamment : « Chez eux, le ghetto se transforme en une prison intérieure et la seule voie de sortie, à leurs yeux, consiste à changer le mépris de soi en haine des autres et le regard négatif des autres en un regard apeuré. »
Des jeunes radicalisés qui se rêvent en héros négatifs
Et puis ce cri étonnant du réalisateur Luc Besson à la jeunesse des banlieues :
Réparons l’injustice faite à la jeunesse
– Le contexte international
De nombreux texte existent sur le sujet. Notamment celui de Patrick Cockburn, correspondant de « The Independent » au Moyen-Orient :
L’interventionnisme coupable
N’oublions pas non plus, avec Ian Buruma, professeur d’idées politiques au Bard College à New York, que « le principal objectif des révolutionnaires est d’enrôler le plus de militants possibles pour défendre leur cause. Dans le cas des islamistes, ils doivent essayer d’empêcher les musulmans pacifiques et respectueux des lois de faire des compromis avec les sociétés séculières dans lesquelles ils vivent. »
Le blasphème n’est pas le seul en cause
– La religion musulmane et ses différentes pratiques
Savez-vous qui a prononcé (en 1843) cette phrase admirable : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu » ? Vous le découvrirez en lisant la citation complète :
La religion est le soupir de la créature opprimée
Plus récemment, ceux qu’on appelle « les nouveaux penseurs de l’Islam », ces philosophes musulmans qui réfléchissent à adapter l’Islam à la modernité, ont déjà produit un corpus de réflexions passionnantes. Abdennour Bidar, normalien et agrégé de philosophie, a écrit ce très beau texte en octobre 2013 :
Lettre ouverte au monde musulman, par Abdennour Bidar.
Le journaliste algérien Adlène Meddi, rédacteur en chef du supplément WE du journal algérien El Watan, va dans le même sens, dans son éditorial du 9 janvier 2015 :
Le choc des amalgames, par Adlène Meddi
Question 2 : Peut-on parler de « communauté musulmane » en France ?
Olivier Roy, professeur à Science Po, explique non seulement qu’une telle communauté n’existe pas, mais que continuer de parler de « communauté musulmane » entretient la peur et les tensions qui minent la société française :
La peur d’une communauté qui n’existe pas
Question 3 : La liberté d’expression en France et ses limites. Charlie Hebdo et Dieudonné.
Une très bonne mise au point sur la législation française en ce domaine, parue dans Le Monde du 15 janvier 2015 :
Charlie, Dieudonné… : quelles limites à la liberté d’expression ?
Question 4 : Charlie Hebdo et l’islamophobie.
La question de savoir si on assiste dans Charlie Hebdo, depuis une dizaine d’années, à une dérive islamophobe avait surgit dans les colonnes du Monde en novembre / décembre 2013. Le débat avait été lancé par une tribune défensive de Charb, le directeur de l’hebdomadaire:
Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste !
Un mois plus tard, Olivier Cyran, ancien dessinateur à Charlie Hebdo, avait publié sur le site article 11 une réponse très argumentée, qui dénonce la dérive islamophobe du journal satirique :
Charlie Hebdo, pas raciste ? Si vous le dites…
Question 5 : La France est-elle laïque ?
Je pose cette question de façon consciemment (un peu) provocante, car il me semble qu’on a trop tendance à utiliser le mot de « laïcité », mais sans que l’on soit tous d’accord sur le sens que l’on y met. Je rappelle que la laïcité à la française repose sur trois piliers : la non-influence du religieux sur l’écriture des lois ; la neutralité de l’État vis-à-vis des religions qu’elle reconnait (l’État s’interdit d’en favoriser une plutôt que l’autre) ; et la protection des croyants dans l’exercice de leur foi. Je rappelle aussi ces deux articles fondateurs : « La République assure la liberté de conscience et garantit la liberté des cultes » (article 1 de la loi de 1905), et « La République ne reconnait, ne salarie, et ne subventionne aucun culte » (article 2). Le philosophe Alain Renaut propose, avec d’autres, de revoir légèrement le dispositif français concernant la place des religions en France :
La France doit faire le choix d’un multiculturalisme tempéré.
Question 6 : Est-ce que je suis Charlie ?
« Je suis Charlie », « Je ne suis pas Charlie », lequel choisir ? Le problème de ce genre de slogan, choisi dans l’émotion, est qu’il peut recouvrir plusieurs significations. Il ne sert donc à rien de s’écharper là-dessus, il suffit d’expliquer ce que l’on met derrière les mots. Frédéric Lordon pose très bien le problème :
Charlie à tout prix ? par Frédéric Lordon
Thibaud Collin, professeur de philosophie au collège Stanislas (établissement privé catholique), dénonce une « faute politique » à vouloir inviter tous les citoyens français à s’identifier à l’esprit de dérision de Charlie.
Charlie n’est pas la France
Et puis ce texte très sensible du dessinateur Halim Mahmoudi :
Je suis dessinateur de presse, arabe… mais seulement ami avec Charlie!
Pour aller encore plus loin :
Deux autres journaux proposent aussi une sélection d’articles.
Le Monde diplomatique
Montpellier journal, un excellent média local en ligne dirigé par le journaliste Jacques-Olivier Teyssier.