« Journal d’une migration »
Je commence ce récit en bleu, presque mauve ; Le soir se dessine, sur cette petite terrasse où, il y a déjà un an que je suis là ;
Au printemps, je suis venue dans cette ville inconnue, en simple étape de voyage , pour explorer un éventuel nouveau lieu dans la région sud de la France, inconnue pour moi, habituée à l’Ouest (Atlantique & Vendée) ; Le sud était devenu nécessaire pour ma santé ; pourtant, le sud, où rien ne m’y attend, où personne ne me connaît, où tout serait à découvrir, construire, vivre, oser explorer, sans repères, les bases d’une vie nouvelle et venir m’y installer, peut être. Oser entamer ce grand changement, seule Marseille me rassurait, pour entamer ce voyage d’exploration, avec une petite valise, un plan de la région. Oser, à 50 ans, partir ailleurs, quitter l’Ouest, son climat de Loire Atlantique , la pluie froide trop longue en saison, l’appartement vide des enfants partis pour d’autres horizons, et mes amis, et mes racines de Vendée, les garder pour sa saison clémente, d’été.
Oser, trouver ailleurs, le chaud de l’hiver, le renouveau de vie, le sourire aux visages multiples, l’inconnu, les futurs amis ;
Je commence ce récit en bleu, parce qu’ici, le bleu est le ciel, tout le jour, la mer oscille du turquoise au mauve, le soir, le port s’éclaire de bateaux d’un indigo vif, écho aux lumières rouges en reflets sur les quais, tandis que les murs des immeubles se rosissent, d’une nuance à l’autre, tout au long du jour ;
Marseille m’a choisie, me tendant les bras de son port, réchauffant mes os d’un soleil constant, me faisant oublier le temps, et, finalement, par ses charmes, ses surprises, est née la décision de ne plus chercher ailleurs et de m’y installer pour une longue escale, dans cette ville aux multiples facettes, immensité à découvrir, une vie y suffirait – elle ?
En me perdant dans ses déambulations de rues qui montent et puis descendent, je cherche une orientation : Où donc est le sud ? et le nord ? et l’ouest ? Le soleil est accroché en fixe dans le ciel, la mer, tout autour, où suis –je donc ; Ma petite boussole portable m’aide, n’ayant plus ici, le repère d’un océan Atlantique toujours au même endroit, à l’Ouest, ni le vent, constant, séchant toujours d’un même côté les doigts mouillés tendus au ciel, en guise de boussole naturelle, traditionnelle dans ma région maritime native. Ici, le vent tourne, parfois de l’Est, parfois du Sud, saisissant d’un coup, la jupe qui vole, la ruelle et ses papiers.
Chaque place, chaque quartier, me saisit, de surprises, un voyage dans le voyage, l’aventure dans ses traces d’histoires, la présence d’ancêtres d’autres temps, au travers de pierres ciselées, de monuments, de couleurs baroques, d’arts. Tous ces mélanges, ces étranges rencontres d’humains aux cultures diverses, cohabitant en un même lieu, un même mur, escarpé. Marseille et ses contrastes, ses contre – temps, ses mélanges de genres, de vies, de calmes et de chaos.
Où sera le soleil dans la fenêtre de mon futur domicile ? Y a t’il, là, quelque part, le lieu de vie qui m’attend, qui m’aspire ?
A chaque fois, qu’en dialogue avec quelqu’un, je demande dans quel quartier il y fait bon vivre, la personne me répond, invariablement « ici ! c’est le mien, ce quartier c’est le meilleur ! ». Et de poursuivre en demandant, quel quartier serait « moins clément», invariablement la réponse est « tous les autres ! ». Cette ville de villages accolés, emboîtés, traversée de rues étroites ou larges, tout y semble possible.
Dès ces premiers jours en escale provisoire pour entamer un nouveau départ dans ma vie vers le sud, Marseille m’a choisie, en m’ouvrant les bras de son Vieux Port, en allumant tous les bleus du ciel le jour, de l’eau, la nuit, Marseille m’a captivée, migrante volontaire, pour y rester. J’ai posé ma petite valise, dans un hôtel, puis, dans un appartement petit et charmant d’un immeuble haussmannien, dans le quartier « Noailles ».
Le dépaysement est total : depuis ces premiers pas posés, un an déjà, le voyage quotidien est là, à chaque coin de rues, de places, de murs, de jardins, de plages et de rochers ; Et ce même étonnement, au fil de chaque jour. Parce qu’à Marseille, ce sont ces résidants, ces habitants, inconnus, avec une parole libre, des dialogues se tissent, des amitiés aussi. Les yeux, les gestes des mains accompagnent les voix, se parler, se saluer, simplement, même sans se connaître, d’avant ; Ici « l’étranger », c’est un peu chacune, chacun, et nul ne s’en étonne : chacun semble venir de loin, d’être arrivé, il y a longtemps ou peu, toutes, tous, venus d’un ailleurs – ailleurs ; Qu’il fût volontaire ou forcé, inévitable ou gorgé d’espoir, le départ de l’ailleurs s’estompe, tant la vie ,au présent, dans Marseille est saisissante ; Il se passe toujours quelque chose, différent d’hier. A chaque nouvelle personne rencontrée, un point commun nous fait écho : venu d’ailleurs ; d’ « ailleurs », en France, ou d’un autre pays ; tous en escale durable ? en quête d’un nouvel ancrage ? L’histoire vaste de cette cité ne serait elle qu’éternel recommencement, à chaque époque de ses migrants ? Partir, revenir, explorer, reconnaître petit à petit, se perdre, douter, se retrouver, ainsi, s’installer dans Mars., ainsi nommée par ses intimes.
J’ai rêvé le sud, avant que de le découvrir : Était-ce ces bons romans de Jean Claude Izzo, lus il y a longtemps, était ce Pagnol et ses récits, mis en images, ou bien les couleurs des tableaux de peintres de tout temps, ou bien ces très courtes escales, à entrevoir la ville , du ciel, entre deux avions ou longer à peine son port, entre deux trains, était –ce cette pensée pour Ulysse, Homère, les mythes de Méditerranée, les arts antiques qui forgent encore l’ossature majestueuse de cette cité , des parfums d’Orients mêlés à ceux de la Provence, ma surprise fût d’y trouver en Marseille, tous les ports invitant à rester.
Et puis Marseille, c’est la musique des langues, des sons, des mots, des bruits ; La ville en son cœur est ponctuée de clacksons, de sirènes, de voix qui s’interpellent, d’accents, à toute heure. Le vivant est là, tout le temps, avec ses différences, ses surprises, les pertes de repères, du temps pour y prendre nouvelles racines ; même des petites plantes poussent ici, à flanc des murs ; Et puis, ces tags, entrelacés de couleurs heurtant de leurs traits larges, la surface paisible des portes, ou escaliers de pierres. Et puis, l’écoute, celle de l’âme, penchée comme ces rues, ces places où tiennent pourtant assises, des chaises colorées.
Et qu’apporter à cette ville, si riche de tout déjà ? Dans ma besace de migrante, j’ai des crayons de mots de poésie encore inconnus, des cahiers vierges, pour des histoires à écouter, des livres à faire naître, en partage. Et puis, apporter, des sourires échangés dans ma rue, du vert et fleuri sur le petit balcon, du joyeux, avec tous les voisins, déjà là.
Le bleu de la nuit allume ses étoiles, au coin de ma fenêtre ; paisible, la rue s’endort, demain, la vie, pleine encore.
A. Plissonneau, Marseille, Juin 2015.
Aubades, Poésie Sonore. Voix de plumes