Fatima Taiour, référence dans le quartier de Saint- André où elle réside, ancienne CPE en Algérie et actuellement agent d’accueil au centre social du Bassin de Séon, est arrivée en France en 2009. Épanouie au sein de la société française et très active dans son entourage, elle fait partie du groupe des Semis des Migrations et évoque ici la vie autour du jardin et les échanges créés grâce à cet atelier.
Voici quelques extraits de l’entretien avec Zine El Abidine Larhfiri, le 29 avril 2015.
Zine El Abidine Larhfiri – C’est vrai que c’est une réalité du quartier le vivre ensemble?
F- Oui, on vit beaucoup ensemble, je travaille sur le secteur et j’habite le quartier, donc je me sens d’ici. Avant j’étais CPE, pendant trente ans à l’Éducation Nationale et arrivée ici j’ai travaillé en tant qu’animatrice périscolaire et aussi linguistique, et maintenant je suis agent d’accueil au centre social.
C’est facile avec les femmes du quartier, il faut juste être à l’écoute et leur donner la main aussi de temps en temps. J’arrive aussi à avoir beaucoup de contacts, d’abord avec les enfants, qui viennent vers moi, après ce sont les parents qui suivent.
Z – Avant votre arrivée, vous aviez déjà eu un premier contact avec Marseille ?
F- Je venais souvent en France, mais plutôt à Paris… dans mon imaginaire Marseille était une ville à ne pas visiter.
Z- Et maintenant que vous vous y êtes installée, est-ce que cette idée persiste ?
F- Ma première année j’étais à Martigues, c’est un peu plus difficile qu’à Marseille. Et là maintenant, depuis quatre ans, je me sens vraiment marseillaise.
Z- Le fait de voir des projets naître comme celui des jardins familiaux du quartier de Saint-André, qu’est-ce que ça a pu manifester en vous comme intérêts ? Avez-vous senti la possibilité de partager des connaissances et de transmettre des savoirs par rapport à votre pratique du jardin ?
F- Pour moi le jardin a été une belle découverte, parce que j’avais déjà en tête l’idée de semer des plantes de mon pays, pour voir si la Méditerranée allait les accueillir, car je viens d’une ville qui n’est pas au bord de la mer, Constantine.
J’ai toujours eu envie d’experimenter, j’ai commencé par le jasmin, le galant de nuit, qu’on appelle »msk-ellil » /mesk el-lil/, j’ai aussi essayé de planter du bambou, des cacahuètes… pour moi le jardin est l’espace qui me permet de faire migrer des plantes de ma ville natale à ma nouvelle ville, pour mon plaisir personnel.
La prochaine fois je vais essayer de prendre un distillateur, parce que là-bas il faut passer les impôts… il faut un tampon. Je vais essayer de distiller ici le géranium. Avec, je fais des gâteaux et je le prend aussi quand j’ai des douleurs. Je vais demander à ce qu’on me le ramène de Tunisie. Je me mettrai aussi à distiller l’absinthe.
Z-Souvent il y a des ingrédients que nous ne trouvons pas ici, malgré la proximité à travers le bassin Méditerranéen. Je sais que vous avez un grand intérêt pour le gombo, pour votre recette « Legnaouia » /legnawia/.
F- Je peux trouver cet ingrédient sur Marseille, mais par contre le goût est totalement différent. Celui que j’ai planté est vraiment celui du pays.
Z-Dans le jardin, qu’elle est la langue véhiculaire ?
F- Nous parlons beaucoup nos langues maternelles respectives.
Par contre Sabrina (Espoir et Culture) lors des réunions, ateliers et rencontres nous demande de parler français, notre langue d’intégration.
Z- Mais comme vous le dites, maintenant vous vous sentez de passer la parole, de transmettre ce savoir acquis et partagé.
F- Oui effectivement, pour tout ce qui est technique, parce qu’il ne suffit pas de prendre la pioche et de semer, il faut choisir la saison, l’engrais… Par exemple, en ce qui me concerne, je ne savais pas que l’ortie était un engrais naturel. Avant elle faisait partie de ce que je désherbais; maintenant je sais que si on la trempe dans l’eau toute une nuit, le lendemain nous avons un engrais naturel.
Z- Dans ce que vous évoquez pendant ses rassemblements, où est la place des rites, des fêtes ? Des moments particuliers vécus ?
F- Quand nous sommes toutes là, cela me rappelle les « Tuisa » /tuiza/ au pays, le moment de récolte du blé et pendant la journée de travail, un individu du groupe trouve toujours le moment d’aller cuisiner pour tout le monde, pour rester dans le rassemblement. Et là, c’est la famille, même si à priori on parle de personnes étrangères. On sent le lien de la famille, même si nous ne portons pas le même nom, le fait de partager un repas ensemble entre voisines, évoque le lien familial.
On sent qu’on n’est pas seul. Dans le quartier on fait tout pour s’intégrer, mais de temps en temps le petit bonjour en arabe, assalmou-alaykom /assalmou-alaykoum/, nous manque.
Je ne me vois pas vivre dans un quartier où il n’y a pas quelqu’un de ma communauté, bien que je sois intégrée.
Z- Est-ce que vous imaginez la vie quotidienne dans votre quartier sans ce jardin ?
F- Avant le jardin, l’association étais déjà là… par contre nos liens sont devenus plus fort grâce au jardin. Nous nous sentons utiles, responsables de notre activité, libres.
Dans les locaux de l’association Espoir et Culture il y a des tables et des chaises, le décor n’est pas le même quand on est dans le jardin, il n y a pas de règle, nous devons uniquement faire attention à la fermeture de la porte et au bon usage de l’eau.